ONU : Tshisekedi prône une défense africaine unie

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Perspective congolaise sur un plaidoyer continental

Lorsque le président de la République démocratique du Congo, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, s’est exprimé à la 80ᵉ session de l’Assemblée générale des Nations unies, son verbe a traversé le fleuve Congo pour trouver un écho particulier à Brazzaville. « Nous devons bâtir une Afrique qui ne se contente pas de subir l’histoire mais qui l’écrit », a-t-il lancé. Derrière cette déclaration, les États de la région voient la confirmation qu’une sécurité durable passe par une approche concertée, fondée sur la responsabilité première des Africains dans la résolution de leurs crises. Pour la République du Congo, engagée depuis plusieurs années dans la professionnalisation de ses forces armées et dans la modernisation de sa flotte fluviale et maritime, le discours de Kinshasa rappelle l’urgence de renforcer l’interopérabilité et l’échange de renseignement avec les partenaires voisins.

La tribune onusienne comme caisse de résonance stratégique

En articulant la tragédie de l’Est congolais à une dénonciation des « guerres imposées de l’extérieur », Félix Tshisekedi a repositionné le débat au cœur des rapports de force internationaux. Son plaidoyer réhabilite l’idée d’une souveraineté africaine qui ne se limite plus à la seule intégrité territoriale, mais englobe le contrôle de l’espace informationnel, des flux financiers et des couloirs logistiques. À New York, il a insisté sur la réforme du Conseil de sécurité afin d’y voir siéger de façon permanente deux États africains dotés du droit de veto. Une telle évolution, si elle aboutissait, redéfinirait la diplomatie militaire africaine et créerait un environnement dans lequel les pays du Golfe de Guinée, dont le Congo-Brazzaville, pourraient faire valoir plus efficacement leurs priorités : lutte contre la piraterie, sécurisation des hydrocarbures offshore et prévention des trafics transfrontaliers.

Vers une architecture africaine de sécurité collective

Le chef de l’État congolais a exhorté ses pairs à « former un front commun contre l’impunité » et à tarir les circuits de financement des groupes armés. Cette proposition s’inscrit dans la dynamique de la Force en attente de la CEEAC, mais aussi dans la multiplication d’exercices conjoints comme Ngola 2023 auxquels les Forces armées congolaises (FAC) prennent part. Les experts de l’École supérieure de guerre de Brazzaville estiment qu’en mutualisant les capacités logistiques – transport aérien stratégique, hôpitaux de campagne, renseignement d’origine image – les États d’Afrique centrale économiseraient jusqu’à 30 % sur leurs budgets opérationnels. Pour les FAC, cela se traduirait par une meilleure disponibilité technique des aéronefs Casa 295 récemment acquis et par la consolidation du rôle du bataillon fluvial dans la surveillance du corridor Sangha-Oubangui.

Ressources naturelles et souveraineté : l’enjeu énergétique

En rappelant que le bassin du Congo constitue le second poumon vert de la planète et en promouvant le méga-projet hydroélectrique Grand Inga, Félix Tshisekedi a ouvert une fenêtre stratégique sur la diplomatie de l’énergie. Le Congo-Brazzaville, qui développe de son côté les centrales de Liouesso et de Sounda, regarde cette initiative comme un levier de sécurité énergétique continentale. Selon un officier-ingénieur du Corps des transmissions, l’interconnexion des réseaux permettrait d’alimenter les postes de défense aérienne installés sur la façade atlantique tout en stabilisant la courbe de charge nationale. Au-delà de la production, la sécurisation des lignes haute tension et des postes de transformation devient un enjeu de défense : un sabotage ciblé aurait des conséquences immédiates sur la planification des opérations intérieures de la Force publique et sur la capacité d’exportation régionale.

Justice internationale et fin de l’impunité

Le président de la RDC a plaidé pour la création d’un tribunal capable de juger les crimes de guerre et les crimes économiques commis dans les Grands Lacs. Cette idée rejoint la position, souvent exprimée à Brazzaville, selon laquelle la paix durable repose sur une combinaison de vérité judiciaire et de réconciliation. Les juristes militaires congolais rappellent que la Cour criminelle spéciale centrafricaine offre déjà un précédent africain. En s’appuyant sur cette expérience, la CEEAC pourrait élaborer un mécanisme dédié qui préserverait la souveraineté des États tout en répondant aux exigences internationales. Pour les services de renseignement intérieurs, une telle juridiction renforcerait la coopération en matière de traçabilité financière, facilitant la lutte contre le blanchiment alimentant le trafic d’armes légères dans la sous-région.

Opportunités pour la coopération Brazzaville-Kinshasa

Au-delà de la rhétorique, Brazzaville peut capitaliser sur l’élan panafricain esquissé par Kinshasa. Les deux capitales partagent une frontière fluviale sensible où se croisent activités portuaires stratégiques, flux migratoires et circuits commerciaux captés par une criminalité transnationale agile. La relance du Comité de suivi de l’accord de défense de 1999, actuellement à l’étude, offrirait un cadre pour des patrouilles conjointes, l’échange de données AIS et la coordination des centres de fusion maritime de Pointe-Noire et de Boma. Selon un colonel de la Direction générale de la documentation et de l’immigration, « la sécurisation du corridor Kinshasa-Pointe-Noire est indispensable à l’intégration logistique de l’Afrique centrale ». L’initiative serait de surcroît cohérente avec la feuille de route africaine contre les guerres par procuration, que Tshisekedi vient de remettre au premier plan.

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