Paris-Brazzelles face au réveil stratégique congolais

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Une charge verbale révélatrice des tensions européennes

« L’Union européenne agit en Afrique comme une puissance néocoloniale. » La formule, lancée par l’eurodéputé français Thierry Mariani lors d’un entretien récemment diffusé, a immédiatement résonné de Paris à Brazzaville. Décrivant une Europe jugée « arrogante » et « moralisatrice », l’ancien ministre des Transports concentre ses critiques sur les dispositifs d’aide extérieure, accusés d’entretenir la dépendance sans résoudre les urgences sécuritaires africaines. La sortie intervient alors que Bruxelles prépare son prochain cadre financier pour l’Afrique centrale et que plusieurs capitales réévaluent leurs dispositifs militaires sur le continent. Derrière la virulence rhétorique pointe toutefois une question plus vaste : comment conjuguer assistance européenne et souveraineté nationale congolaise sans raviver les fantômes d’un passé colonial ?

L’architecture sécurité-défense UE-Congo à l’épreuve

Depuis la signature, en 2021, de la feuille de route conjointe sur la sûreté maritime dans le Golfe de Guinée, l’Union européenne et la République du Congo ont multiplié les programmes conjoints de formation, de maintenance et de partage de renseignement. Le financement de nouvelles vedettes de surveillance par le Fonds européen de développement et la présence ponctuelle d’experts de l’EUNAVFOR dans les eaux congolaises illustrent une coopération technique qui, jusqu’ici, faisait consensus. Pourtant, les propos de Thierry Mariani rappellent que la perception de ces appuis n’est jamais neutre. En coulisses, certains officiers supérieurs congolais reconnaissent « la nécessité d’un accompagnement extérieur », tout en refusant « tout dispositif qui priverait Brazzaville de la maîtrise totale de ses opérations ». La ligne rouge est claire : l’assistance doit renforcer les Forces armées congolaises, non les supplanter.

Brazzaville et la diplomatie de la souveraineté responsable

Le président Denis Sassou Nguesso, fidèle à sa doctrine de « souveraineté responsable », insiste depuis plusieurs années sur l’importance d’un dialogue d’égal à égal avec les partenaires externes. Lors de la dernière session du Conseil national de sécurité, il a encore rappelé que « la République du Congo ne saurait déléguer sa sécurité stratégique ». Sous son impulsion, les budgets alloués à la modernisation navale et à la cyberdéfense ont augmenté de 12 % en deux ans, tandis que la Direction générale de la documentation et de la surveillance du territoire intensifie sa coopération avec l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information. Dans ce schéma, le soutien européen est bienvenu s’il s’inscrit dans la promotion d’une autonomie capacitaire : transfert de technologies duales, formation d’ingénieurs locaux, soutien à la petite industrie de maintenance radar de Pointe-Noire.

Le dilemme européen : assistance ou ingérence ?

À Bruxelles, la remarque de Mariani a suscité un malaise, mais aussi un début d’introspection stratégique. Un diplomate du Service européen pour l’action extérieure admet que « les missions civiles et militaires de l’UE pâtissent parfois d’une communication perçue comme prescriptive ». Dans le même temps, la détérioration sécuritaire au Sahel et la fragilité de certains régimes côtiers obligent l’Europe à maintenir une présence, ne serait-ce que pour sécuriser ses propres routes d’approvisionnement énergétique. Le risque de confusion entre assistance et ingérence plane. L’expert camerounais Joseph Mbida, chercheur associé à l’Institut des études de défense d’Afrique centrale, rappelle que « le succès d’un partenariat se mesure moins aux volumes financiers qu’à la gouvernance conjointe des projets ». C’est précisément sur ce point que les capitales africaines, Brazzaville en tête, demandent un aggiornamento.

Forces armées congolaises : vers un réarmement intelligent

Au-delà des débats diplomatiques, les besoins capacitaires sont tangibles. La Marine nationale, pivot de la stratégie anti-piraterie nationale, doit renouveler une partie de sa flotte d’ici à 2027 et moderniser son centre d’opérations maritimes. L’état-major envisage un modèle de « réarmement intelligent », associant crédit-bail, transfert de savoir-faire et intégration d’entreprises nationales dans la chaîne de maintien en condition opérationnelle. Des pourparlers sont en cours avec plusieurs chantiers navals européens pour la fourniture de patrouilleurs de haute mer équipés de systèmes ISR, tandis que l’École supérieure militaire de la logistique, à Mbandaka, accueille ses premiers instructeurs portugais dans le cadre du programme européen de renforcement de la résilience logistique. L’objectif affiché est clair : disposer de moyens endogènes pour sécuriser le trafic pétrolier, protéger les zones économiques exclusives et participer plus activement aux opérations régionales de maintien de la paix.

Une fenêtre d’opportunité pour l’Afrique centrale

En définitive, la sortie de Thierry Mariani aura eu le mérite de rappeler qu’aucun partenariat de sécurité n’est jamais acquis. Pour la République du Congo, elle offre aussi l’occasion de réaffirmer un positionnement de médiateur régional, rôle que Brazzaville a joué lors des derniers sommets de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Un dialogue clarifié avec l’Union européenne, fondé sur la coproduction industrielle, la sécurisation des frontières fluviales et la lutte contre la criminalité cyber, pourrait constituer l’ossature d’une relation rénovée. La condition, soulignent les autorités congolaises, est la reconnaissance pleine et entière de la souveraineté nationale. « Nous ne cherchons pas la rupture mais le respect mutuel », confiait récemment un conseiller du ministre de la Défense. Dans un environnement stratégique volatil, cet équilibre pourrait bien constituer, pour l’Europe comme pour le Congo, la meilleure garantie de stabilité et de prospérité partagées.

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