Bangui, point d’inflexion stratégique
Dans la touffeur de la capitale centrafricaine, la seizième session ordinaire de la Conférence des chefs d’État de la CEMAC s’est ouverte le 9 septembre 2025 sur un symbole fort : le passage du flambeau entre le président Faustin-Archange Touadéra et son homologue congolais Denis Sassou-Nguesso. Derrière la solennité protocolaire, diplomates et officiers généraux ont immédiatement perçu qu’un cap sécuritaire était en train de se dessiner. « Le contexte régional ne tolère plus la moindre hésitation », confiait, en marge des travaux, un conseiller militaire brazzavillois. Le nouveau président en exercice, déjà pilote du Programme de réformes économiques et financières, a rappelé que la sécurité constitue la matrice même de la croissance durable. L’orientation est claire : replacer la défense au cœur du processus d’intégration pour protéger chaînes logistiques, couloirs énergétiques et corridors commerciaux vitaux.
- Bangui, point d’inflexion stratégique
- Convergence des politiques de défense et de sécurité
- Coopération opérationnelle contre les menaces émergentes
- Effet d’entraînement sur l’industrie de défense congolaise
- Renforcement du renseignement et diplomatie préventive
- Perspectives pour les forces armées congolaises
Convergence des politiques de défense et de sécurité
Sous l’impulsion congolaise, la CEMAC veut dépasser la simple juxtaposition d’armées nationales pour tendre vers une architecture concertée. Bangui a validé le principe d’un Livre blanc régional, document de référence appelé à harmoniser doctrines, planifications capacitaires et niveaux d’ambition opérationnelle à l’horizon 2030. Les représentants des états-majors ont reçu mandat d’actualiser dans les six mois la cartographie des risques partagés : piraterie dans le golfe de Guinée, bandes armées transfrontalières, cyber-intrusions contre les opérateurs critiques. « La mutualisation de nos moyens ISR est devenue indispensable », a insisté le général Jacques Yvon Ndongo, chef d’état-major conjoint en gestation. Brazzaville entend apporter son expérience en matière de surveillance fluviale et de contrôle aérien, tandis que N’Djaména propose ses savoir-faire sahéliens en lutte anti-terroriste.
Coopération opérationnelle contre les menaces émergentes
Le communiqué final consigne la décision d’organiser dès 2026 un exercice amphibie multinational au large de Pointe-Noire, couplé à un scénario cyber défensif orchestré depuis le centre national de cybersécurité congolais. L’objectif est double : éprouver l’interopérabilité des forces spéciales et valider la chaîne de commandement numérique intégrée. Des détachements de la Garde républicaine congolaise, du Bataillon centrafricain d’intervention rapide et des commandos équato-guinéens mutualiseront leurs cellules de renseignement d’origine image pour suivre des cibles maritimes suspectes simulant des trafics d’armes. « Nous devons montrer aux organisations criminelles que la mer n’est plus un sanctuaire », martèle un officier de la Marine congolaise. Outre l’entraînement, la CEMAC activera un fonds de solidarité logistique afin de financer les heures de vol, l’entretien des patrouilleurs et le déploiement des détachements médico-chirurgicaux avancés.
Effet d’entraînement sur l’industrie de défense congolaise
La nouvelle présidence régionale offre à Brazzaville une fenêtre pour dynamiser son tissu industriel naissant. Les discussions techniques ont acté la création d’un label « Fabriqué en CEMAC » pour les équipements individuels du combattant, des gilets pare-balles aux stations radio tactiques. La société congolaise Armix Industries, adossée au groupement inter-armées de maintenance, envisage déjà de tripler sa capacité de production grâce à des commandes groupées destinées aux six États membres. En parallèle, l’École supérieure de guerre de Sibiti ouvrira, dès la rentrée prochaine, un cursus commun en logistique opérationnelle orientée vers le maintien en condition des flottes hétérogènes. « Nous devons rompre avec la dépendance à l’externalisation coûteuse des MCO », souligne le colonel-ingénieur Émile Makaya, qui plaide pour un réseau d’ateliers certifiés sur toute la bande équatoriale.
Renforcement du renseignement et diplomatie préventive
Conscient que l’anticipation est la première ligne de défense, Denis Sassou-Nguesso a soutenu la relance du Système régional d’alerte avancée, ossature destinée à fusionner données satellitaires, informations douanières et signaux de terrain. L’accord de Bangui prévoit la mise en place, à Brazzaville, d’un pôle analytique capable de produire des notes conjointes dans un délai maximal de quarante-huit heures après détection d’un incident. Les services intérieurs congolais, qui travaillent déjà de façon étroite avec leurs homologues tchadiens et gabonais, assureront la coordination initiale. « La diplomatie préventive n’a de sens que si elle repose sur un renseignement partagé et dépolitisé », résume un haut fonctionnaire du ministère congolais de la Sécurité.
Perspectives pour les forces armées congolaises
À court terme, l’engagement régional devrait rejaillir sur la préparation opérationnelle nationale. La base aérienne de Maya-Maya accueillera un détachement mixte d’instructeurs centrafricains et équato-guinéens pour former les équipages de C-27J nouvellement acquis à la navigation de nuit. Sur le plan doctrinal, l’État-major congolais finalise une évolution du concept « Défense de l’avant fluvial », afin de l’inscrire dans la défense collective des corridors Congo-Oubangui-Chari. Enfin, la participation accrue aux programmes capacitaires communs permettra de rationaliser les achats et de stimuler la standardisation, facteur clé de la souveraineté. Les premiers mois de la présidence congolaise s’annoncent donc décisifs pour façonner une CEMAC plus sûre et plus solide, au service d’un développement que le chef de l’État a, une nouvelle fois, défini comme fondamentalement indissociable de la paix.