Sécuriser l’énergie : défi stratégique congolais

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Énergie électrique, pilier de la résilience nationale

Dans toute architecture de défense, la continuité de l’alimentation électrique constitue un fondement souvent méconnu du grand public, mais parfaitement identifié par les planificateurs congolais. La Société Énergie électrique du Congo (E2C), opérateur public en charge de la production et de la distribution, ne se limite pas à délivrer des kilowatts ; elle irrigue les centres de commandement civils et militaires, les réseaux de télécommunication de la Force publique, les radars côtiers et, de plus en plus, les infrastructures numériques stratégiques. Une interruption prolongée compromettrait simultanément l’exercice de la souveraineté, la protection des frontières et la crédibilité diplomatique du pays.

Le récent malaise exprimé par le Collectif national des journaliers d’E2C rappelle opportunément que la sécurité énergétique n’est pas seulement affaire de transformateurs et de turbines ; elle dépend aussi d’un capital humain qualifié, motivé et loyal. Sans les techniciens de terrain capables de rétablir une ligne foudroyée ou de recalibrer un disjoncteur, la puissance installée resterait lettre morte. Ces femmes et ces hommes, présents dans chaque département, constituent de facto une première ligne de défense contre la désorganisation d’un réseau déjà sollicité par la croissance urbaine et l’industrialisation émergente.

Dialogue social et stabilité : lignes de défense convergentes

Dans la revue stratégique nationale, le volet social figure désormais parmi les facteurs de fragilité susceptibles d’être exploités par des acteurs malveillants. C’est à cette aune que les autorités ont suivi avec attention la revendication des journaliers, formulée dès le setting interministériel du 13 février 2025 et réitérée lors du round tripartite du 8 mars. L’enjeu dépasse le périmètre classique des ressources humaines ; il touche à la cohésion interne de l’opérateur et, par ricochet, à la stabilité du réseau vital du pays.

Le ministère de l’Énergie et de l’Hydraulique a, selon nos informations, rédigé une feuille de route comportant un cadencement précis pour l’enrôlement graduel des journaliers et leur montée en compétence. « Le président de la République a rappelé l’importance d’une solution concertée et rapide afin de prévenir tout scénario de rupture de service qui affecterait la vie quotidienne de nos concitoyens », confie un conseiller technique du cabinet. Cette approche privilégie la négociation, vecteur de paix civile, tout en laissant à la force publique la responsabilité de contenir d’éventuels débordements sans jamais entraver la liberté d’expression garantie par la Constitution.

Forces de sécurité, bouclier face aux risques opérationnels

Sur le terrain, la Police nationale et la Gendarmerie, appuyées par certaines unités de la zone de défense n°1, ont reçu mission de sécuriser les sites sensibles d’E2C, des centrales hydroélectriques d’Imboulou et de Moukoukoulou aux postes sources périphériques. La doctrine d’emploi privilégie la dissuasion, l’occupation discrète du terrain et l’appui aux équipes techniques en cas de tentative de sabotage ou de manifestation non autorisée. Le colonel-major Francis Okemba, chef d’état-major particulier adjoint, souligne que « la protection des infrastructures critiques relève d’une logique de défense opérationnelle du territoire, au même titre que les dépôts de carburant ou les liaisons fibre optique stratégiques ».

L’expérience acquise lors de l’opération Embalo, conduite en 2023 pour sécuriser les chantiers d’électrification rurale dans le Niari, a d’ailleurs servi de laboratoire. La coopération entre ingénieurs d’E2C et bataillons d’appui du génie a montré que la synergie civilo-militaire permettait de réduire de 40 % le temps moyen de remise en service après incident, tout en minimisant le risque de confrontation avec les populations riveraines.

Cybersécurité du réseau : une frontière invisible

Au-delà des menaces physiques, les attaques logiques contre les systèmes de conduite d’énergie se multiplient à l’échelle du continent. Le Computer Emergency Response Team (CERT) du Congo s’est ainsi vu confier la mission de surveiller en temps réel les automates programmables d’E2C, souvent hérités de générations technologiques hétérogènes. Une intrusion, même limitée, pourrait créer un effet domino sur plusieurs régions, engendrant un blackout propice à la désinformation ou à l’ingérence économique.

Pour parer à ce risque, le partenariat noué en 2024 entre la Direction générale de la documentation et de la sécurité d’État et l’Agence nationale de cybersécurité introduit des exercices RED/BLUE TEAM combinant experts militaires et ingénieurs civils. Ces manœuvres, menées de nuit dans un datacenter hors site, simulent des injections de code malveillant destinées à fausser les données de tension. Selon un rapport interne consulté par notre rédaction, le temps de détection moyen est passé de douze à trois minutes en l’espace de six mois, signe tangible d’une courbe d’apprentissage ascendante.

Perspective stratégique : souveraineté énergétique et défense intégrée

À l’heure où la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale consolide un marché de l’énergie interconnecté, la capacité du Congo à protéger son réseau constitue autant un atout de négociation qu’un gage de crédibilité régionale. La résolution rapide du dossier des journaliers est attendue non seulement par les intéressés, mais aussi par les partenaires étrangers qui envisagent de financer de nouveaux interconnexions haute tension vers le Cameroun et le Gabon.

Une source diplomatique européenne estime que « la stabilité législative et sociale autour d’E2C conditionnera l’éligibilité des projets congolais aux garanties de la Banque africaine de développement ». Cette appréciation conforte la lecture stratégique portée par Brazzaville : l’énergie est la colonne vertébrale du développement, donc un secteur de souveraineté partagée entre industriels, travailleurs et forces de sécurité. En veillant à solder les revendications légitimes, à sécuriser physiquement les sites et à sanctuariser numériquement le réseau, l’État congolais se dote d’un triptyque de résilience susceptible de désamorcer les tensions, de soutenir la croissance verte et de renforcer l’autonomie stratégique prônée par le président Denis Sassou Nguesso.

Dans cette équation, le Collectif national des journaliers délaissés n’apparaît plus comme un simple groupe de contestataires, mais comme un maillon essentiel du dispositif de sureté. Leur intégration pleine et entière apporterait non seulement la paix sociale, mais également une main-d’œuvre formée qui constituera, demain, la garde avancée d’un réseau électrique dont la Défense, la Sécurité intérieure et l’ensemble de la Nation dépendent.

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