Biya réélu : quels risques pour la sécurité CEMAC?

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Scrutin serré et montée des tensions sécuritaires

Proclamé vainqueur de l’élection présidentielle du 12 octobre avec 53,66 % des voix, Paul Biya a vu son huitième mandat confirmé le 27 octobre par le Conseil constitutionnel. L’opposition, emmenée par Issa Tchiroma Bakary, conteste le verdict et dénonce une « mascarade électorale systémique ». Dans les rues de Douala, les affrontements avec les forces de l’ordre ont déjà fait quatre morts selon le bilan officiel. L’appareil sécuritaire camerounais, au premier rang duquel l’armée et la gendarmerie, se trouve désormais au cœur d’une crise de légitimité susceptible de fragiliser l’ensemble de la sous-région.

Appareil militaire face à l’enjeu de la rue

La tension populaire exerce une pression directe sur les forces armées, principales garantes de la stabilité. Consciente de ce rôle pivot, l’opposition a menacé de poursuites internationales « y compris contre l’armée et la gendarmerie » pour tout acte jugé répressif. Cette judiciarisation inédite du débat place le commandement camerounais dans une posture délicate : contenir les manifestations sans aggraver la perception d’un verrouillage institutionnel. La confiance civilo-militaire étant déjà fragile depuis le précédent contentieux de 2018, chaque déploiement est scruté par les chancelleries étrangères et par les États voisins qui craignent un débordement de la violence.

Port de Douala : un nœud logistique vital

Le port en eau profonde de Douala constitue le point de passage de la majorité des importations tchado-centrafricaines et, dans une moindre mesure, congolaises. La moindre perturbation des chaînes logistiques se répercute immédiatement sur les budgets de défense et sur la disponibilité opérationnelle des forces régionales qui dépendent d’équipements acheminés par cette plateforme. À Brazzaville, les services de planification militaires suivent donc avec vigilance les rassemblements populaires qui, selon plusieurs sources diplomatiques, pourraient viser les infrastructures critiques afin de forcer la main au pouvoir.

Risque de contagion : frontières poreuses et groupes armés

Le Cameroun partage quelque 5 000 kilomètres de frontières avec six pays, dont le Congo. Une crise prolongée créerait un appel d’air pour les trafics d’armes légères, déjà florissants entre Centrafrique, Gabon et extrême-nord camerounais. Les forces congolaises, engagées dans la sécurisation du corridor Brazzaville-Pointe-Noire, savent que tout affaiblissement de la discipline aux postes-frontières multiplie les risques d’incursions criminelles. À cet égard, la lutte camerounaise contre Boko Haram dans l’Extrême-Nord demeure un rempart indirect pour la sécurité intérieure congolaise.

CEMAC et diplomatie de défense

Face au dilemme camerounais, l’Union africaine prône un dialogue inclusif tandis que les chancelleries françaises, américaines et onusiennes appellent à la retenue. Pour la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, l’enjeu est de prévenir un effet domino. Des sources proches du secrétariat général de la CEMAC confirment que Brazzaville étudie des mesures de coopération renforcée, allant du partage de renseignement à la mutualisation des capacités aériennes ISR, afin de surveiller d’éventuels flux de réfugiés et de prévenir la circulation des groupes armés transfrontaliers.

Veille stratégique de Brazzaville

Sans commenter le contentieux électoral voisin, les autorités congolaises privilégient une posture de neutralité active : surveillance accrue des axes routiers septentrionaux, coordination gendarmerie-police aux points d’entrée fluviaux et activation des centres fusionnels de renseignement. L’objectif affiché est double : éviter tout débordement sur le territoire national et se tenir prêt, le cas échéant, à participer à un éventuel mécanisme régional de stabilisation sous mandat CEMAC. Aux yeux de nombreux diplomates, cette prudence s’inscrit dans la doctrine congolaise axée sur la préservation de la paix publique et la protection des intérêts stratégiques, notamment énergétiques.

Fatigue institutionnelle et scénario de succession

À 92 ans, Paul Biya concentre l’appareil d’État autour d’un leadership perçu comme garant de continuité mais fragilisé par l’usure du temps. Les analyses les plus critiques craignent « une crise de succession violente » si aucun mécanisme de transition n’est esquissé. Ce spectre est surveillé par les états-majors de la sous-région, conscients qu’un vide institutionnel pourrait servir de catalyseur à des factions politico-militaires. Pour le politologue Armand Nguiamba, « l’appareil sécuritaire devient le seul pilier du régime », rendant indispensable un pilotage fin des forces pour éviter la revanche de la rue.

Quelle marge de manœuvre pour l’opposition?

Le collectif d’avocats dirigé par Me Augustin Nguefack entend porter le contentieux devant les juridictions internationales, invoquant la non-publication des listes électorales et l’absence de procès-verbaux. « Le droit est notre dernier refuge, même lorsqu’il vacille », rappelle Me Franck Essomba. Cette stratégie rallonge les délais d’un dénouement politique, laissant planer une incertitude opérationnelle. Les forces camerounaises, mobilisées sur plusieurs fronts internes – Nord-Ouest anglophone, Extrême-Nord, sécurité urbaine – devront gérer l’émergence de foyers de contestation dispersés, un casse-tête logistique qui pourrait entamer leur capacité de réaction sur les théâtres périphériques.

Stabilité régionale : responsabilités partagées

Au-delà du Cameroun, l’ensemble du dispositif sécuritaire d’Afrique centrale joue sa crédibilité. Les nouveaux partenariats de maintien de la paix, les exercices conjoints et les achats mutualisés de matériel dépendent de la perception d’une gouvernance stable chez l’un des principaux contributeurs militaires de la zone. Pour l’heure, Brazzaville et ses partenaires privilégient la diplomatie préventive et la coopération technique, esperant que la contestation trouve un exutoire institutionnel avant de muer en crise ouverte. L’équilibre délicat repose sur un impératif : préserver la fluidité logistique et la solidarité opérationnelle qui font office de ligne de défense collective.

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