Bras de fer sécuritaire face aux bébés noirs

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Contexte sécuritaire à Brazzaville

Chaque crépuscule, les artères de Brazzaville résonnent encore du souvenir d’attaques à la machette attribuées aux bébés noirs, ces groupes de jeunes armés qui, depuis une décennie, défient toute forme d’autorité. Dans plusieurs arrondissements, commerçants et travailleurs demeurent sur le qui-vive, convaincus que le moindre retard peut se solder par un braquage, voire un homicide. Les statistiques officielles évoquent une recrudescence de 17 % des agressions à l’arme blanche entre 2023 et 2024, un chiffre qui pèse lourdement sur la perception de sûreté et freine l’activité nocturne de la capitale.

Ce climat délétère affecte également le tissu économique. Les compagnies pétrolières et les opérateurs logistiques du port fluvial, soucieux de la sécurité de leurs équipes, réduisent leurs rotations nocturnes. Le ministère de la Défense et celui de l’Intérieur ont donc jugé prioritaire de restaurer la liberté de circulation, condition indispensable au maintien de la croissance et à l’attractivité du corridor Pointe-Noire-Brazzaville.

L’opération actuellement conduite est le résultat d’une instruction du Conseil national de sécurité, organe consultatif présidé par le chef de l’État, qui a ordonné une « action de neutralisation rapide » contre le grand banditisme armé. Concrètement, la Direction générale de la sécurité présidentielle (D.G.S.P) fournit le noyau de commandement, tandis que la Garde républicaine (G.R.) déploie ses pelotons d’intervention urbains, placés sous la coordination tactique du ministère délégué à la Défense chargé des anciens combattants et victimes de guerre.

Du point de vue juridique, les autorités rappellent que l’article 187 de la Constitution autorise, en cas de menace grave à la sécurité intérieure, la mise à contribution d’unités spécialisées de la présidence pour appuyer la police. Les procureurs concernés ont été saisis afin de veiller à la judiciarisation des interpellations. Le ministère de la Justice souligne que « les tribunaux militaires ne sont compétents que si des infractions à coloration terroriste ou de détention d’armes de guerre sont constituées ».

Synergies D.G.S.P-G.R. face aux bébés noirs

Sur le terrain, les forces conjuguent renseignement criminel et présence dissuasive. Les officiers du Groupement spécial d’intervention de la D.G.S.P opèrent en civil pour localiser les caches d’armes, pendant que les sections de la G.R verrouillent les axes de fuite à l’aide de pick-up équipés de caméras gyrostabilisées. Cette capacité de fusionner la collecte d’information et l’intervention rapide constitue, selon un expert français détaché en coopération, « un atout comparatif dans un environnement urbain dense où la surprise prime ».

Les premiers bilans font état de plusieurs dizaines d’armes blanches récupérées, de motos volées restituées à leurs propriétaires et d’un reflux notable des agressions nocturnes. Des riverains du quartier Moukondo confient avoir « retrouvé le sommeil » depuis la présence régulière de patrouilles mixtes, signe qu’une partie de l’opinion perçoit l’opération comme le rétablissement d’un contrat social élémentaire : le monopole légitime de la violence par l’État.

Réactions de la société civile et garanties juridiques

L’Observatoire congolais des droits de l’homme (OCDH) a toutefois publié le 1ᵉʳ octobre 2025 une note de position s’inquiétant de « violations graves », notamment des allégations d’exécutions extrajudiciaires. L’organisation réclame une communication détaillée sur l’identité des personnes interpellées et une limitation stricte de l’usage létal de la force. « La sécurité publique ne peut être restaurée au prix du piétinement des principes fondamentaux », rappelle son directeur exécutif, Trésor Nzila.

Le gouvernement répond qu’aucune tolérance n’est admise en matière d’abus. Le porte-parole de la police nationale annonce l’ouverture de deux enquêtes internes et souligne que les opérations se déroulent « sous l’œil de magistrats de permanence et d’observateurs indépendants ». Le ministre de l’Intérieur a par ailleurs évoqué la mise en place d’un numéro vert afin de signaler tout dépassement, preuve que la consolidation de l’État de droit demeure un impératif stratégique.

Enjeux pour la doctrine de sécurité intérieure

Au-delà de la réponse immédiate, l’opération questionne la doctrine d’engagement des forces présidentielles sur le théâtre intérieur. Leur emploi témoigne d’une recherche de complémentarité avec la police nationale, mais exige une stricte délimitation de leurs missions afin d’éviter une dilution des responsabilités. Les écoles d’application de la G.R. travaillent déjà à un module dédié à l’interpellation de mineurs armés, segment particulièrement sensible lorsqu’il s’agit de bébés noirs recrutant des adolescents.

Le ministère de l’Intérieur planche également sur un dispositif de “proximité renseignée”, consistant à associer chefs de quartier, services sociaux et unités de renseignement intérieur pour identifier les trajectoires de radicalisation violente. Cette approche, inspirée des retours d’expérience des opérations CIMIC menées par les forces congolaises en Centrafrique, mise sur la prévention pour réduire le vivier criminel tout en préservant le capital de confiance entre population et forces de sécurité.

Perspectives de professionnalisation et coopération régionale

Sur le plan capacitaire, la D.G.S.P projette l’acquisition de micro-drones à caméra thermique pour renforcer l’observation nocturne dans les zones périphériques de la capitale. Une enveloppe budgétaire, inscrite dans la Loi de programmation militaire 2025-2030, prévoit également la modernisation de la chaîne de commandement numérique afin d’assurer la traçabilité des opérations et la jonction en temps réel avec les parquets.

Au niveau régional, la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) suit de près l’évolution de la situation. Brazzaville a proposé de partager son expérience lors du prochain sommet des ministres de la Sécurité de la sous-région, convaincue qu’une riposte concertée aux bandes transfrontalières—souvent liées au trafic d’armes légères—constitue un facteur de stabilité pour l’ensemble du Golfe de Guinée. En consolidant à la fois l’efficacité opérationnelle et le respect des standards internationaux, le Congo se donne l’ambition de présenter un modèle équilibré de lutte contre la criminalité urbaine.

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