Une rencontre présidentielle aux accents stratégiques
Mardi 14 octobre, le palais du Peuple de Brazzaville a servi d’écrin à un tête-à-tête chargé d’enjeux entre Denis Sassou Nguesso et Umaro Sissoco Embaló. Au-delà du protocole, les deux chefs d’État ont exploré les ressorts d’une convergence sécuritaire encore sous-exploitée entre la République du Congo et la Guinée-Bissau. Selon un conseiller diplomatique congolais, « l’heure est venue de traduire l’excellence politique en synergies capacitaires, du renseignement jusqu’à la logistique navale ». La création annoncée de groupes de travail mixtes, qui disposeront d’un mandat de six mois, témoigne de la volonté présidentielle d’ancrer cette coopération dans la durée et de l’articuler à la Loi de programmation militaire congolaise 2022-2026.
- Une rencontre présidentielle aux accents stratégiques
- Maritime : sécuriser le continuum Golfe de Guinée
- Terre et air : mutualiser l’instruction et la maintenance
- Renseignement et police : un bouclier contre les flux criminels
- Industrie de défense : de la maintenance au transfert de technologies
- Vers un ancrage régional et multilatéral accru
Maritime : sécuriser le continuum Golfe de Guinée
Premier axe prioritaire, la sûreté des voies maritimes figure au rang des intérêts vitaux partagés. Brazzaville contrôle un couloir fluvial et portuaire indispensable aux exportations pétrolières, tandis que Bissau, exposée aux trafics illicites, cherche à renforcer sa garde-côtes. Les deux délégations ont donc acté la mise en commun de patrouilleurs de second rang, la formation d’équipes de visite mixtes et le recours à un centre de coordination permanent basé à Pointe-Noire. Ce hub, interfacé avec la Zone D de l’Architecture de Yaoundé, recevra les flux AIS et les images satellitaires fournies par l’Agence congolaise d’observation spatiale. En retour, Bissau offrira l’accès à ses mouillages profonds pour les exercices de la Marine congolaise, élargissant le périmètre d’entraînement à l’Atlantique Nord-Est.
Terre et air : mutualiser l’instruction et la maintenance
Sur le volet terrestre, l’École militaire supérieure de Likouala accueillera dès 2026 un premier contingent bisso-guinéen pour un cursus de chef de section orienté contre-insurrection et actions civilo-militaires. Concomitamment, les Forces armées de Guinée-Bissau mettront à disposition de l’Armée de l’air congolaise leur savoir-faire en maintenance de plateformes légères de transport issu du parc Casa 212, dont elles prolongent la durée de vie grâce à un partenariat avec un atelier espagnol. Cet échange de compétences illustre la logique gagnant-gagnant recherchée par les présidences des deux pays. Le général Serge Ngollo, chef d’état-major congolais, insiste : « Le partage des retours d’expérience réduit nos coûts d’entraînement et renforce l’interopérabilité lors des déploiements CEMAC. »
Renseignement et police : un bouclier contre les flux criminels
Confrontés à des réseaux de narcotrafic transnational et à une cyber-criminalité croissante, Brazzaville et Bissau ont convenu d’établir une cellule conjointe d’analyse, hébergée par la Direction générale de la documentation et de la sécurité congolaise. La plateforme croisera sources humaines, écoute radio et données financières afin de cartographier les routes illicites entre l’Atlantique et l’hinterland centrafricain. Elle alimentera un dispositif d’alerte rapide au profit des polices nationales et d’Interpol. Sur le front intérieur, la coopération s’étendra à la formation d’officiers de police judiciaire et à l’actualisation des protocoles d’investigation numérique, alignés sur la Convention de Malabo. Les deux capitales espèrent ainsi contenir l’impact déstabilisateur d’activités criminelles qui amputent leurs budgets de défense de précieux points de PIB.
Industrie de défense : de la maintenance au transfert de technologies
L’accord-cadre signé en janvier 2022 sur la libre circulation diplomatique a ouvert la voie à des discussions industrielles plus fouillées. Le ministère congolais des Industries stratégiques mise sur une joint-venture avec l’arsenal de Bissau pour assembler des embarcations rapides en composite destinées aux unités fluviales. Parallèlement, la Société nationale des pétroles du Congo envisage de codévelopper, avec le service géologique bisso-guinéen, des capteurs sismiques durcis utilisables tant pour la prospection que pour la détection d’engins explosifs improvisés. Ces projets, encore à l’état de concept, bénéficieraient de financements croisés de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale et de la Banque ouest-africaine de développement, signe de la complémentarité économique vantée par les deux chefs d’État.
Vers un ancrage régional et multilatéral accru
À l’horizon 2027, Brazzaville et Bissau ambitionnent de présenter une position commune au Sommet de l’Union africaine sur la sécurité maritime. Les diplomaties entendent aussi plaider pour un mandat CEMAC-CEDEAO conjoint sur les opérations de maintien de la paix, tirant parti de la double appartenance géographique de la Guinée-Bissau. Pour le politologue José Mangovo, cette articulation « permet au Congo de projeter son influence vers l’Atlantique Ouest tandis que Bissau gagne un accès structuré aux formats d’état-major d’Afrique centrale ». Au terme de leur entretien, Denis Sassou Nguesso et Umaro Sissoco Embaló ont insisté sur l’importance du suivi: les premiers bilans des groupes de travail seront présentés lors d’une commission mixte organisée à Oyo au printemps prochain, manière de consolider une alliance sécuritaire désormais incontournable dans le Golfe de Guinée.