Brazzaville : riposte d’envergure contre les « Bébés noirs »

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Opération de reconquête urbaine à Brazzaville

Depuis la fin de semaine dernière, Brazzaville vit au rythme d’une manœuvre sécuritaire d’ampleur inédite. Objectif affiché : mettre hors d’état de nuire les bandes de jeunes délinquants, surnommées « Bébés noirs » ou « kulunas », qui, armées de machettes et d’armes blanches, imposent un climat d’insécurité dans plusieurs arrondissements. Le dispositif, imaginé à la faveur d’un Conseil de défense restreint tenu au Palais du Peuple, articule des patrouilles nocturnes, des contrôles d’identité ciblés et la reprise progressive des zones d’habitation considérées à risque. L’état-major opérationnel a choisi de frapper vite pour couper tout effet de contagion, sans pour autant perturber la vie économique du cœur administratif de la capitale. Dans les couloirs du commissariat central, un officier supérieur confie que « le tempo choisi vise à surprendre, mais aussi à rassurer la population en montrant une présence constante des forces publiques ».

Rôle central de la DGSP et de la Garde républicaine

La Direction générale de la sécurité présidentielle, traditionnellement chargée de la protection rapprochée des hautes autorités, assure la planification stratégique et le renseignement amont. Ses unités d’intervention, aguerries aux missions antiterroristes, apportent une capacité de réaction rapide et l’expertise du tir de précision en zone densément peuplée. La Garde républicaine complète le dispositif par son effectif massif, son parc de véhicules blindés légers et sa connaissance fine du terrain urbain brazzavillois acquise lors des cérémonies officielles. »

Selon le colonel Anselme Boungou, chef du détachement avancé, « la complémentarité DGSP-GR est un multiplicateur de force ». Les équipes de la police nationale, placées en appui, assurent la judiciarisation immédiate : chaque arrestation est suivie d’un enregistrement biométrique afin de fiabiliser les procédures et d’éviter les libérations anticipées qui ont pu par le passé saper la crédibilité des opérations de sécurité intérieure.

Coopération population-forces : un levier de renseignement humain

La dimension RHU – renseignement humain – constitue le socle discret de la manœuvre. Des réunions de quartier, présidées par les maires d’arrondissement et les chefs de secteur, invitent les habitants à signaler discrètement repaires, dépôts d’armes ou mouvements suspects. Autorités et notables veillent à garantir l’anonymat des informateurs pour prévenir les représailles. Dans le huitième arrondissement de Madibou, les appels reçus sur la ligne verte mise en place par le ministère de l’Intérieur ont permis d’anticiper le repli de plusieurs chefs de bandes vers les axes routiers menant au Pool.

La mobilisation citoyenne s’incarne également à travers les unités de proximité dites « patrouilles mixtes », associant policiers en civil et comités de vigilance locaux. Ce maillage permet de rompre la culture de l’impunité et de réaffirmer l’autorité de l’État jusque dans les ruelles les plus enclavées.

Projection régionale de l’action sécuritaire

Conscientes que la pression exercée à Brazzaville pousse certains délinquants à se disperser, les autorités ont ordonné l’extension graduelle des opérations vers l’arrière-pays. Les corridors vers Dolisie, Oyo et Ouesso font l’objet de points de contrôle dynamiques afin d’empêcher l’essaimage des bandes vers des zones minières ou forestières plus difficiles d’accès. La gendarmerie mobile, récemment dotée de drones quadricoptères pour la surveillance des pistes rurales, joue ici un rôle de premier plan.

Au niveau sous-régional, le mécanisme d’alerte de la CEMAC permet d’échanger des identités biométriques et des profils de violence urbaine avec les forces camerounaises et gabonaises. L’ambition affichée est de prévenir la constitution de réseaux transfrontaliers susceptibles de se financer par le trafic de carburant ou de bois précieux. « La sécurité commence aux frontières morales autant qu’aux frontières physiques », rappelle un diplomate accrédité à Brazzaville, saluant la dimension préventive de cette coopération.

Un cadre juridique et doctrinal en renfort

Au-delà de l’action de terrain, le gouvernement a décidé d’actualiser le corpus réglementaire encadrant l’usage de la force, la détention provisoire des mineurs et l’indemnisation des victimes civiles. Un projet de loi, déjà transmis au Parlement, entend harmoniser les textes relatifs aux violences urbaines avec les standards de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Il instituera des peines aggravées en cas d’attaque groupée et facilitera la saisie des biens issus de la prédation. Les auditions au Palais des congrès ont mis en lumière l’importance d’un accompagnement psychosocial pour les jeunes repentis, afin de transformer la victoire tactique en consolidation durable de la paix sociale.

En parallèle, l’École supérieure de police renforce son module de prévention de la délinquance juvénile, incluant médiation et sensibilisation aux dérives sectaires sur les réseaux sociaux. Ce volet « soft power » prolonge la posture d’anticipation souhaitée par les autorités, démontrant que la coercition n’est qu’un instrument parmi d’autres dans l’architecture globale de sécurité intérieure.

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