Identification des SIM et sûreté nationale
Au sein de tout État moderne, la maîtrise de la chaîne d’identification des abonnés mobiles constitue l’un des piliers d’une sécurité intérieure résiliente. Dans un espace stratégique tel que le Congo-Brazzaville, carrefour énergétique du golfe de Guinée et nœud de corridors terrestres vers l’hinterland d’Afrique centrale, la carte SIM est bien plus qu’un simple outil de communication : elle représente un identifiant numérique qui, s’il échappe au contrôle régalien, peut devenir le vecteur d’activités criminelles, de financement occulte ou d’ingérence informationnelle.
Conscient de cet enjeu, le gouvernement, sous l’impulsion constante du président Denis Sassou Nguesso, a fait de la cybersouveraineté une priorité transversale. Les dispositions réglementaires de 2021 imposant l’enregistrement biométrique des abonnés s’inscrivent ainsi dans une vision globale articulant modernisation des réseaux, lutte contre le terrorisme régional et attractivité économique. L’Agence de régulation des postes et des communications électroniques (ARPCE) se voit confier la délicate mission de veiller à l’application de cette doctrine et de fédérer les acteurs privés autour de l’intérêt national.
Résultats de l’enquête ARPCE 2025
Les conclusions rendues publiques le 21 octobre à Brazzaville ont mis en lumière un recul préoccupant : à l’échelle nationale, seulement 9,13 % des cartes SIM identifiées en 2025 ont été activées conformément aux normes, contre 13,20 % l’année précédente. L’enquête, menée entre le 23 juillet et le 28 août dans dix-huit localités, révèle une dichotomie saisissante. D’un côté, Kinkala et Djambala atteignent un strict 100 % de conformité, démontrant qu’un modèle vertueux est réalisable. De l’autre, des centres urbains majeurs comme Brazzaville, Pointe-Noire ou Dolisie laissent prospérer des circuits de distribution où la présentation d’une pièce d’identité est rarement exigée et où des cartes pré-activées circulent en toute opacité.
Menaces asymétriques liées aux cartes anonymes
Cette brèche dans la traçabilité des communications ouvre la porte à une multiplicité de risques. Pour les services chargés de la lutte contre la criminalité organisée, l’anonymat téléphonique complique la remontée de filières de trafic – qu’il s’agisse d’or, de faune sauvage ou de stupéfiants – qui exploitent les réseaux GSM pour coordonner leurs flux logistiques. Sur le plan cyber, l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSII) signale une recrudescence des fraudes financières par usurpation d’identité numérique, les fraudeurs n’ayant qu’à remplacer une puce désactivée par une nouvelle carte vierge pour contourner toute mesure de blocage.
La dimension régionale n’est pas en reste. Dans un contexte où la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale renforce la mise en réseau de ses bases de données policières, l’existence de « SIM fantômes » au Congo peut constituer un maillon faible susceptible d’être exploité par des groupes terroristes opérant entre les marges orientales du Cameroun et l’est de la RDC. La sécurisation de la frontière numérique devient donc un corollaire incontournable à la sécurisation terrestre.
Responsabilisation des opérateurs télécoms
Face à ces dérives, l’ARPCE a signifié une mise en demeure formelle aux opérateurs, leur accordant deux mois pour redresser la situation sous peine de sanctions graduées pouvant aller jusqu’à la suspension de nouvelles ventes. Louis Marc Sakala, directeur général de l’Agence, a insisté sur « l’obligation morale et juridique » qui incombe aux fournisseurs d’accès, rappelant que l’État a investi dans des plateformes centralisées de vérification instantanée des pièces d’identité. Djibril Tobe, directeur général d’Airtel Congo, a reconnu la responsabilité partagée entre opérateurs et revendeurs, tout en promettant la résiliation systématique des contrats avec les points de vente récalcitrants et la mise en place d’équipes d’audit surprise sur le terrain.
Synergies ARPCE—Forces de sécurité congolaises
Le dispositif de contrôle ne se limite toutefois pas aux opérateurs : une cellule de coordination réunissant l’ARPCE, la Police nationale, la Gendarmerie et la Direction générale de la surveillance du territoire travaille à la fusion de leurs bases de données. L’objectif est double. D’une part, offrir aux enquêteurs un accès en temps réel aux informations d’abonnement pour accélérer les réquisitions judiciaires. D’autre part, détecter automatiquement les cartes suspectes grâce à un algorithme de corrélation entre mouvements de SIM, localisations répétitives dans des zones frontalières et numéros d’identification incohérents. Ce saut technologique, soutenu par un partenariat avec la Banque mondiale, préfigure la montée en puissance du renseignement de source ouverte appliqué aux communications.
Feuille de route jusqu’à décembre 2025
D’ici à la fin de l’année, chaque opérateur devra transmettre un plan de conformité détaillant la sécurisation de sa chaîne de distribution, la formation de ses agents et l’intégration de la biométrie faciale lors de l’enrôlement. Une inspection conjointe ARPCE–Forces de l’ordre vérifiera, localité par localité, la disparition des stocks de cartes pré-activées. Dans le même temps, une campagne de sensibilisation grand public sera lancée afin d’inciter les usagers à régulariser leurs lignes avant leur désactivation automatique. Cette approche équilibrée, combinant fermeté réglementaire et pédagogie, s’inscrit dans la stratégie nationale de défense et de sécurité qui fait de la confiance numérique un levier de développement autant qu’un rempart contre les menaces hybrides. Le Congo affiche ainsi sa détermination à fermer, dès 2025, la parenthèse des « SIM fantômes » et à consolider la souveraineté de son espace informationnel.
