Casques bleus congolais : le sacrifice de Damara

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Hommage national et portée stratégique

Sous la coupole solennelle de la Région de gendarmerie de Brazzaville, le drapeau tricolore a flotté à mi-mât tandis que la Force publique rendait les honneurs aux quatre Casques bleus rapatriés de Bangui. Dans la cour d’armes, la présence du ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, Raymond Zéphirin Mboulou, aux côtés des chefs d’état-major, a conféré à la cérémonie une dimension stratégique : loin d’être un simple adieu, l’événement réaffirme la constance de l’engagement militaire congolais au service de la paix continentale.

Le soin apporté au protocole militaire, le drap mortuaire frappé des armoiries nationales et les décorations onusiennes épinglées sur les cercueils rappellent que la Nation érige en principe le devoir de mémoire. Dans le mot d’ordre adressé aux troupes, le commandement a insisté sur la nécessité de « transformer l’émotion en force morale » afin de soutenir les futures rotations en Centrafrique, théâtre où la stabilité de la sous-région joue sa crédibilité.

Engagement congolais au sein de la MINUSCA

Depuis 2014, le Congo-Brazzaville aligne, au sein de la MINUSCA, des unités de police constituée qui conjuguent expertise gendarmique et capacités d’intervention en milieu difficile. Le contingent, aujourd’hui à sa onzième rotation, a pour missions la protection des civils, l’appui à la reforme sécuritaire centrafricaine et le contrôle de zones sensibles entre Bangui et la frontière camerounaise.

Cette contribution est le fruit d’une vision présidentielle articulée sur trois axes : prévention des menaces transfrontalières, crédibilité diplomatique et professionnalisation des forces intérieures. Dans les cénacles de l’Union africaine, Brazzaville se distingue par la constance de son effort ; le drame du 16 septembre renforce paradoxalement cette stature, le sacrifice étant perçu comme le sceau le plus solennel de la solidarité stratégique.

Retour sur l’accident de Damara

Le 16 septembre 2025, à trente-cinq kilomètres de Bangui, le véhicule blindé transportant le commandant Hermann Gildas Armel Moukilou, l’adjudant Régis Ntsoumou, le maréchal des logis-chef Ulrich Février Osseré Anguissy et le brigadier-chef Jules Matondo Nzaba a quitté la piste latéritique pour plonger dans la rivière Obela Mpoko. Selon les premières constatations, la chaussée détrempée par une pluie torrentielle et la topographie encaissée auraient surpris le conducteur lors d’une patrouille de sécurisation nocturne.

Au cours de la même opération, le maréchal des logis-chef Sage Divin Miyokidi Bazola a disparu, emporté par le courant. Les experts de la division Sécurité de la MINUSCA poursuivent à ce jour des recherches appuyées par des équipes cynophiles et des drones tactiques. Cette mobilisation témoigne de la priorité absolue accordée par l’ONU et par Brazzaville au credo « personne ne reste sur le terrain ».

Chaîne de commandement et cellule de crise

Dès l’annonce du sinistre, le centre opérationnel du ministère congolais de l’Intérieur a activé une cellule de crise interministérielle. La Gendarmerie nationale, la Police et le ministère de la Défense ont synchronisé les flux d’information afin d’assurer, en temps quasi réel, le suivi médical des blessés, la récupération des corps et l’assistance psychologique aux familles.

À Brazzaville, le colonel-major Bellarmin Ndongui, directeur général de la Stratégie, a dressé l’oraison funèbre en soulignant que « le métier de la sécurité est un sacerdoce ». Ce rappel, prononcé devant la garde d’honneur, ancre l’idée que le continuum sécurité-défense impose vigilance et anticipation : situation awareness renforcée, cartographie des itinéraires à risque et commande de nouveaux capteurs antidérapage pour les blindés de transport de troupes figurent déjà parmi les mesures correctives.

Enjeux régionaux et image internationale

La dégradation ponctuelle des routes centrafricaines, utilisées tant par les forces onusiennes que par les convois humanitaires, pose un défi logistique que les techniciens congolais veulent transformer en opportunité industrielle. L’Institut national de recherche en génie civil travaille, de concert avec la Commission économique de la CEMAC, à la mise au point de dalles modulaires préfabriquées susceptibles de renforcer les pistes latéritiques. Outre la réduction du risque d’accident, ce savoir-faire exportable pourrait positionner l’industrie congolaise sur un créneau de niche à forte valeur ajoutée.

Sur le plan diplomatique, la maîtrise professionnelle de la communication de crise a été saluée par plusieurs chancelleries partenaires. Le communiqué conjoint publié par Brazzaville et la MINUSCA, dépourvu de toute polémique, a consolidé l’image d’un État responsable, respectueux du devoir de transparence sans céder à la surenchère émotionnelle.

Mémoire, résilience et préparation future

Les dépouilles des quatre soldats ont été inhumées au cimetière central de Brazzaville, après avoir reçu, des mains du représentant spécial adjoint du Secrétaire général de l’ONU, la Médaille des opérations de maintien de la paix. Ce geste symbolique, relayé par les médias nationaux et les réseaux sociaux, participe d’une pédagogie civique : honorer les disparus, c’est aussi rappeler aux jeunes recrues la noblesse d’un engagement au-delà des frontières.

Sur le terrain, la onzième compagnie poursuit sa mission sans rupture, preuve que la force morale l’emporte sur le choc. Dans les mois à venir, les phases de préparation opérationnelle à Ollombo intégreront un module dédié à la conduite tout-terrain en saison des pluies, avec simulations virtuelles et exercices de nuit. Ainsi se tisse la résilience : un continuum qui va de l’acte héroïque au retour d’expérience, puis à l’adaptation doctrinale.

« Le sacrifice nous oblige ; ils nous regardent désormais depuis l’éternité », a conclu le ministre Mboulou. Pour l’institution militaire comme pour la Nation, l’accident de Damara devient un marqueur mémoriel, mais il agit surtout comme un catalyseur d’amélioration continue, au service d’une diplomatie de paix fidèle à la tradition congolaise d’entraide et de responsabilité partagée.

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