Brazzaville entre insécurité et résilience citoyenne
Depuis plus d’une décennie, les artères de Brazzaville et de Pointe-Noire vivent au rythme des rapines, des rackets et des violences perpétrés par les « bébés noirs », plus connus sous le sobriquet de « Kulunas ». Armés de machettes ou de couteaux artisanaux, ces groupes juvéniles ont progressivement tissé un maillage criminel qui échappe aux méthodes classiques de maintien de l’ordre. Les multiples rafles conduites par la police urbaine, bien que ponctuellement efficaces, n’ont pas suffi à endiguer des bandes mobiles et influencées par une économie informelle de subsistance. L’opinion publique, régulièrement secouée par des faits divers sanglants, réclamait un sursaut sécuritaire à la hauteur de la menace. L’annonce présidentielle du 24 octobre 2025 intervient donc dans un climat où la population aspire à la fois à la protection et à la libre circulation, piliers indispensables du redéploiement économique post-pandémie.
Une décision régalienne assumée et encadrée
En affirmant avoir « ordonné personnellement la traque des gangs », le président Denis Sassou-Nguesso a pris la parole comme garant constitutionnel de la sécurité intérieure. La déclaration, prononcée lors de l’inauguration du complexe scolaire Liberté dans le sixième arrondissement, se veut autant pédagogique que performative. Elle replace le chef de l’État au centre du dispositif national de défense et rappelle la primauté de la chaîne de commandement républicaine. Sur le plan juridique, l’intervention de la Direction de la Sécurité présidentielle (DSP) s’appuie sur les articles relatifs à l’état de nécessité sécuritaire, lesquels autorisent le renforcement temporaire des moyens lorsque les autorités civiles sont débordées. Le gouvernement précise que la coordination inter-services demeure, la DSP venant en appui des forces de police et de gendarmerie sans se substituer à leurs prérogatives légales.
Capacités et doctrine d’emploi de la Direction de la Sécurité présidentielle
Reposant sur un effectif réduit mais aguerri, la DSP bénéficie d’une formation proche de celle des forces spéciales, avec un accent sur l’appui feu de précision, le renseignement de proximité et le contrôle de zone urbaine. Héritée des opérations de stabilisation menées dans le département du Pool entre 1998 et 2002, sa doctrine privilégie l’action ciblée et la maîtrise de la violence graduée. Les opérateurs, sélectionnés parmi les meilleurs éléments de l’armée et de la gendarmerie, disposent d’équipements modernes : gilets balistiques compacts, systèmes de vision nocturne de troisième génération et moyens de capture numérique pour la conservation de la preuve judiciaire. Leur déploiement contre les Kulunas combine patrouilles discrètes, postes d’observation fixes et descentes ponctuelles dans les secteurs réputés hostiles, avec pour objectif de neutraliser les meneurs sans provoquer de dommages collatéraux.
Premiers résultats et perception de la manœuvre
Un mois après l’entrée en action des commandos, plusieurs figures centrales du banditisme urbain ont été appréhendées ou mises hors d’état de nuire, réduisant la fréquence des agressions nocturnes dans les quartiers Talangaï et Mfilou. Les statistiques consolidées devraient être rendues publiques à l’issue du premier trimestre 2026, mais les associations de commerçants évoquent déjà une hausse de la fréquentation des marchés périphériques. Parallèlement, la démolition de logements appartenant à des parents jugés complices illustre la stratégie de dissuasion structurelle voulue par le pouvoir exécutif. Cette fermeté s’accompagne d’actions de régulation routière : la DSP a imposé le port du casque aux conducteurs de taxi-motos, symbole d’une approche globale liant ordre public et sécurité routière. Sur le terrain, plusieurs habitants saluent la baisse tangible de la peur, tout en espérant la pérennisation des dispositifs sociaux destinés à la réinsertion des jeunes repentis.
Vers une extension géographique et une approche intégrée
La mobilité des gangs, capables de se replier vers Dolisie, Nkayi ou Pointe-Noire, impose d’élargir le théâtre des opérations. Le commandement conjoint Police-DSP étudie des patrouilles mixtes appuyées par un système de géolocalisation des incidents signalés via l’application citoyenne « SécuriCongo ». À moyen terme, le ministère de l’Intérieur envisage la création d’une cellule de renseignement criminel régional, en étroite coopération avec les États voisins de la CEMAC, afin de couper les filières de revente d’armes et de stupéfiants qui alimentent les Kulunas. L’objectif ultime reste la normalisation sécuritaire propice à l’investissement, condition sine qua non du développement portuaire et énergétique national. Dans cette perspective, le déploiement de la DSP apparaît comme un catalyseur, accélérant la modernisation des forces de sécurité intérieures tout en redonnant confiance aux populations urbaines.
