Congo numérique : enjeu vital de souveraineté cyber

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Connectivité stratégique et souveraineté numérique

La récente présentation à Brazzaville de l’ouvrage « Le Congo numérique en construction » de l’expert Max Bouhoyi n’est pas qu’un événement littéraire. Elle intervient dans un contexte où la connectivité se trouve au cœur de la souveraineté des États, en particulier pour un Congo-Brazzaville résolu à sécuriser ses communications stratégiques. En plaidant pour une structuration cohérente des infrastructures, l’auteur épouse la ligne directrice impulsée par le président Denis Sassou Nguesso : bâtir un pilier numérique robuste, condition sine qua non d’une défense moderne.

Sur 238 pages, l’ouvrage rappelle que la donnée – qu’elle transite par câble, fibre ou satellite – équivaut désormais à une ressource critique. La maîtrise de ses routes constitue un impératif de sécurité intérieure, de résilience des forces armées et de protection des secteurs vitaux, du pétrole à la finance. À travers ce prisme stratégique, la littératie numérique cesse d’être un sujet purement économique ; elle devient une composante de la posture de défense globale du pays.

Câbles sous-marins et satellites : lignes de vie sécuritaires

Max Bouhoyi distingue deux artères de connectivité : le segment spatial et le segment maritime. Les satellites garantissent la continuité de transmission en zone enclavée et jouent un rôle d’appoint lors des défaillances terrestres, décisif pour les transmissions interarmées et la coordination des secours. Les câbles sous-marins, quant à eux, véhiculent plus de 95 % du trafic international de données ; leur sécurisation relève donc d’un enjeu maritime autant que numérique.

L’action de l’État en mer, déjà saluée par Eric Dibas-Franck, implique une veille permanente contre les menaces hybrides : sabotage, espionnage ou pillage. Les patrouilles côtières, le radar côtier intégré et la coopération CEMAC sont appelés à converger vers une même finalité : protéger ces « lignes de vie » dont dépend la capacité de commandement national. La cartographie dynamique des points d’atterrissement et la duplication des itinéraires fibre ouvrent, par ailleurs, la voie à une redondance stratégique appréciée des planificateurs militaires.

Vers une gouvernance cyber intégrée et résiliente

L’auteur plaide pour une réforme de la loi sur les communications électroniques et l’instauration d’une gouvernance numérique intégrée. « Le numérique n’est pas seulement une question d’outil, il est un défi de souveraineté », rappelle Yves Ickonga dans la postface. Inscrite dans la vision présidentielle, cette réforme toucherait la régulation des fréquences, la protection des infrastructures critiques et la mise en place d’un Conseil national du numérique qui servirait de trait d’union entre ministères régaliens, opérateurs et centres de recherche.

Une telle architecture institutionnelle renforcerait la posture de cyber-défense en clarifiant les responsabilités : renseignement précoce au profit du Service national de sécurité des systèmes d’information, réponse rapide confiée aux unités spécialisées des forces armées, et coordination stratégique sous l’égide du gouvernement. La mutualisation des Centres de supervision de sécurité (SOC) civils et militaires faciliterait en outre la détection d’incidents et la continuité des opérations en période de crise.

Fiscalité incitative et essor de l’industrie de défense

Le plaidoyer de Max Bouhoyi pour une fiscalité attractive vise à attirer des investisseurs capables de densifier le maillage fibre, d’implanter des data centers certifiés et de favoriser l’émergence d’une filière de composants « made in Congo ». Pour la communauté défense, cette orientation se traduit par la perspective d’une production locale de terminaux sécurisés, de cartes à puce et de logiciels de chiffrement, gages d’autonomie stratégique.

En soutenant la co-dépense publique-privée et les offsets industriels, l’État pourrait stimuler les PME innovantes aptes à répondre aux marchés de la logistique militaire, du maintien en condition opérationnelle et du contrôle des frontières numériques. À terme, une base techno-industrielle solide réduirait la dépendance extérieure et créerait des emplois qualifiés, consolidant ainsi la sécurité économique et sociale du pays.

Compétences nationales et posture de cyber-défense

La modernisation des infrastructures serait incomplète sans un capital humain adéquat. La proposition de l’auteur d’associer monde académique, forces de sécurité et secteur privé s’aligne sur les besoins exprimés par l’État-major général : former des spécialistes capables de développer, auditer et défendre les réseaux critiques. L’institut national de formation en télécommunications et l’Université Marien-Ngouabi pourraient, à cet égard, devenir des centres de référence régionale.

Parallèlement, l’intégration de modules de cybersécurité dans les cursus des écoles d’officiers et la mise en place d’un exercice annuel de cyber-crise favoriseraient l’interopérabilité entre armée, gendarmerie, police et opérateurs vitaux. En période de tensions régionales, cette culture commune accélère les prises de décision et limite les dégradations potentielles sur les systèmes de commandement.

Perspectives opérationnelles d’ici 2030

Le livre dessine une feuille de route exigeante, mais réaliste. D’ici 2030, le Congo pourrait disposer d’un anneau national à très haut débit, relié à au moins deux points d’atterrissement fibre redondants, soutenu par une constellation satellitaire régionale. Cette architecture offrirait aux forces armées une bande passante suffisante pour les systèmes ISR, la cartographie numérique du territoire et la gestion intégrée des crises.

La stratégie de cyber-défense congolaise, nourrie des recommandations de Max Bouhoyi, se veut donc globale : sécurisation des tuyaux, maîtrise normative, montée en compétence et stimulation industrielle. À la croisée des chemins entre modernité économique et impératif sécuritaire, le numérique devient plus que jamais un multiplicateur de puissance, apte à renforcer l’influence régionale du Congo-Brazzaville et à consolider la confiance de ses partenaires internationaux.

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