Criminalité faunique : une menace hybride et stratégique
Le démantèlement, le 4 octobre à Dolisie, d’un trafic portant sur quatre pointes d’ivoire remet brutalement en lumière la dimension sécuritaire de la criminalité environnementale. L’ivoire illégal n’est plus seulement un défi pour la conservation ; il alimente des circuits financiers opaques susceptibles de financer d’autres formes de criminalité organisée, voire de menacer la stabilité des États. En s’attaquant aux éléphants, les trafiquants sapent également le capital naturel qui fonde la souveraineté économique du Congo, notamment dans ses parcs nationaux et ses zones communautaires de chasse. La défense des écosystèmes devient, de facto, un impératif stratégique au même titre que la protection des frontières ou des infrastructures critiques.
- Criminalité faunique : une menace hybride et stratégique
- Dispositif opérationnel : la Gendarmerie à la manœuvre
- Chaîne de renseignement environnemental et traçabilité ADN
- Axe Niari–Gabon : sécurisation de la ligne de fracture
- Réponse judiciaire et effet dissuasif recherché
- Vers une doctrine congolaise de défense verte
Dispositif opérationnel : la Gendarmerie à la manœuvre
L’opération de Dolisie a mobilisé la brigade territoriale, des gendarmes issus de la Section de recherches et des agents de la direction départementale de l’Économie forestière, avec l’appui technique du Projet d’Appui à l’Application de la Loi sur la Faune Sauvage (PALF). Selon un officier présent sur le terrain, « la neutralisation rapide de la menace repose sur la réactivité des patrouilles mixtes et la fluidité du partage d’informations ». Les présumés trafiquants, âgés de 21 et 29 ans, ont été appréhendés en flagrant délit de détention et de tentative de commercialisation. Les preuves matérielles, soigneusement scellées, ont aussitôt transité vers l’antenne scientifique de la Gendarmerie pour analyses balistiques et génétiques, illustrant la professionnalisation progressive des moyens d’enquête.
Chaîne de renseignement environnemental et traçabilité ADN
Le succès de l’opération doit beaucoup au renseignement. Dans le Niari, un réseau de correspondants villageois, formés par les forces de sécurité intérieure, remonte les alertes liées à la présence de contrebandiers. Les renseignements humains sont ensuite recoupés avec les données issues du système d’information géographique du ministère de l’Économie forestière et des images satellitaires exploitées par la Direction générale de la surveillance du territoire. Pour ce dossier, des analyses ADN seront menées afin de déterminer l’aire d’origine des défenses saisies ; cette traçabilité scientifique, encore rare sur le continent, permet de remonter la filière jusqu’aux zones de braconnage et d’alimenter la coopération judiciaire avec les pays voisins.
Axe Niari–Gabon : sécurisation de la ligne de fracture
Le transit supposé par le poste-frontière de Mabanda confirme que le corridor Niari–Gabon demeure un point de pression majeur. Les flux transfrontaliers y sont denses, portés par la route nationale 1 et un maillage de pistes forestières difficiles à contrôler. Conformément aux orientations du président Denis Sassou Nguesso, les autorités congolaises renforcent la présence de la Gendarmerie aux frontières et multiplient les patrouilles conjointes avec la police gabonaise. La signature récente d’un protocole d’échange d’informations temps réel entre Brazzaville et Libreville, portant sur les trafics de faune mais aussi sur la lutte antidrogue, constitue un pas supplémentaire vers une sécurité collective dans l’espace CEMAC.
Réponse judiciaire et effet dissuasif recherché
Les deux mis en cause seront déférés devant le Procureur près le Tribunal de grande instance de Dolisie. En application de l’article 27 de la loi relative à la faune et aux aires protégées, ils encourent jusqu’à cinq ans d’emprisonnement ferme et cinq millions de francs CFA d’amende. Un précédent, datant du 25 août à Impfondo, avait déjà montré l’inflexibilité des parquets en matière de délinquance faunique. Les autorités entendent créer une jurisprudence robuste pour décourager les récidivistes. Les audiences à venir seront suivies par les services juridiques de la Défense, soucieux d’évaluer l’efficacité de la chaîne pénale dans la production d’un effet dissuasif durable.
Vers une doctrine congolaise de défense verte
Au-delà de la seule répression, le Congo affirme une vision intégrée, où la préservation du patrimoine naturel s’inscrit dans la doctrine de résilience nationale. L’Armée de terre participe déjà, dans le parc d’Odzala-Kokoua, à des missions de formation des écogardes sous l’égide du ministère de la Défense. Des unités de fusiliers marins surveillent quant à elles les estuaires pour prévenir le départ de cargaisons illicites vers le golfe de Guinée. Le Conseil national de sécurité a récemment inclus la criminalité environnementale dans sa typologie des menaces hybrides, reconnaissant qu’elle peut, à terme, fragiliser les équilibres socio-économiques et attirer des groupes armés transnationaux. En conjuguant action militaire, police judiciaire, diplomatie régionale et sensibilisation communautaire, Brazzaville esquisse les contours d’une défense verte appelée à devenir un pilier de la sécurité intérieure et de l’influence du pays.