Une convergence diplomatique à forte teneur sécuritaire
Brazzaville s’est offert, le 21 octobre, le visage d’une capitale stratégique lorsque le président Denis Sassou Nguesso a accueilli l’ancien chef d’État nigérien Mahamadou Issoufou pour un tête-à-tête qualifié de « dense et prospectif » par un conseiller de la présidence. L’entretien, mené à huis clos dans le salon d’honneur de la présidence congolaise, a revisité l’axe Congo-Niger à un moment où les équilibres sécuritaires du continent sont soumis à de fortes tensions. Sans verser dans le protocole convenu, les deux hommes ont réaffirmé la primauté du dialogue politique comme préalable à toute architecture de défense durable. « Nous partageons la conviction que la paix est indissociable du développement », a déclaré Mahamadou Issoufou à sa sortie, soulignant la communauté d’analyse qui existe de longue date entre Brazzaville et Niamey.
ZLECAF et autonomie industrielle de défense
Au centre des échanges, la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) a été abordée sous un angle rarement médiatisé : celui de l’autonomie industrielle en matière de défense et de sécurité. Les deux dirigeants estiment que la libéralisation des marchés intrarégionaux peut consolider les chaînes de valeur concernant les équipements individuels du combattant, le soutien logistique et la maintenance en condition opérationnelle. Selon une source du ministère congolais du Développement industriel, Brazzaville envisage déjà la création d’une plate-forme d’assemblage de véhicules tactiques légers pouvant, à terme, répondre aux besoins du Niger et des pays sahéliens, tout en dynamisant la base productive locale.
La perspective d’une circulation facilitée des composants, en provenance notamment des zones économiques spéciales de Pointe-Noire, réduirait significativement les délais d’approvisionnement dont souffrent les forces nigériennes engagées contre les groupes terroristes. À l’inverse, l’expertise nigérienne dans le domaine des moyens de patrouille sahélienne, éprouvés dans des conditions de chaleur extrême, pourrait nourrir les programmes de modernisation de la gendarmerie congolaise déployée dans les savanes de la Cuvette-Ouest. La ZLECAF, loin d’être une entité abstraite, apparaît ainsi comme un catalyseur concret de capacités opérationnelles partagées.
Architecture de sécurité au Sahel et renseignement
La dimension la plus sensible de l’entretien a porté sur la sécurité au Sahel, dossier dont Mahamadou Issoufou assure la coordination au nom du Secrétaire général des Nations unies. Le président congolais a salué « le rôle de sentinelle » joué par l’ancien dirigeant nigérien dans la mise en musique d’une approche intégrée, mêlant lutte contre les groupes armés, développement et gouvernance. Brazzaville, engagé dans plusieurs missions de maintien de la paix, entend peser davantage sur la prévention des crises sahéliennes, convaincu que l’instabilité au Nord peut, par capillarité, fragiliser le golfe de Guinée.
Les équipes des deux pays ont étudié la possibilité d’un partage plus systématique du renseignement d’origine image et de la veille cybersécuritaire. Le Congo dispose, via sa station de réception satellitaire récemment mise à jour, de créneaux réguliers d’imagerie haute résolution pouvant cartographier les couloirs de transit illicite. Niamey, pour sa part, contrôle un réseau de capteurs HUMINT le long de la frontière algérienne. L’agrégation de ces flux placerait les deux capitales dans une posture de co-producteurs d’alerte stratégique, un pas important vers la mutualisation continentale prônée par l’Agenda 2063 de l’Union africaine.
Coopérations militaires bilatérales en gestation
La phase opérationnelle de cette rapprochement s’esquisse déjà. D’après un officier supérieur congolais, un groupe de travail mixte devrait être installé avant la fin du trimestre pour « identifier des domaines de coopération à gains rapides », qu’il s’agisse de cours d’état-major, d’échanges d’instructeurs ou d’acquisitions conjointes de munitions de petit calibre. Brazzaville, dont les forces armées consolident leur participation aux exercices CEMAC, voit dans le savoir-faire nigérien en matière de contre-insurrection un levier pour perfectionner ses propres unités de reconnaissance.
L’une des pistes les plus commentées concerne l’accueil, à l’École de sécurité terrestre de Moungali, d’un premier détachement nigérien dès la prochaine session. En retour, le Niger ouvrirait ses centres d’entraînement désertique aux commandos congolais, une diversification bienvenue pour des forces jusqu’alors majoritairement formées en milieu équatorial. Cette réciprocité, souligne un diplomate français de passage à Brazzaville, « illustre une Afrique qui mutualise ses savoirs sans attendre l’activation d’un mécanisme extérieur ».
Leadership africain et gouvernance multilatérale
Au-delà des bénéfices bilatéraux, la rencontre Sassou-Issoufou a également valeur de signal pour les partenaires internationaux. Le Congo, réputé pour sa diplomatie de plaidoyer, se positionne en facilitateur entre l’Afrique centrale et le Sahel, tout en confortant l’image d’un continent capable de porter ses propres solutions. L’ancien président nigérien, applaudi pour la stabilité qu’il a imprimée à son pays, est perçu comme un interlocuteur de confiance par les bailleurs internationaux. Son dialogue régulier avec Brazzaville renforce la crédibilité des projets régionaux à venir.
Cette synergie s’inscrit dans la dynamique de la Coalition pour le Sahel et dans le débat, encore ouvert, sur la redéfinition du mandat de la MINUSMA dissoute. Le Congo fait valoir son expérience au sein des opérations de l’ONU pour préconiser des brigades plus mobiles, interarmes et dotées de capacités ISR avancées. « Les défis sont immenses, mais l’Afrique dispose de figures d’autorité qui savent conjuguer vision politique et pragmatisme sécuritaire », a résumé un chercheur du Centre d’études stratégiques de Brazzaville.
Dans cet esprit, la présidence congolaise s’est engagée à poursuivre les consultations avec Niamey afin d’alimenter, d’ici au prochain Sommet de l’Union africaine, une feuille de route commune portant sur la sécurité, l’intégration économique et le développement. Les observateurs notent que les deux hommes incarnent, chacun à sa manière, un leadership de continuité : Denis Sassou Nguesso en chef d’État aux convictions panafricanistes affirmées ; Mahamadou Issoufou en médiateur investi d’une mission onusienne. Ensemble, ils rappellent que la stabilité du Sahel et la prospérité du golfe de Guinée sont les deux faces d’une même pièce stratégique.
