Griffes d’Ivoire: coup de filet à Owando

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Répression accrue du trafic faunique au nord

Les 15 et 16 octobre prochains, les salles d’audience des tribunaux d’Owando et d’Impfondo retiendront l’attention des observateurs de la sécurité intérieure. Deux présumés trafiquants de produits issus d’espèces intégralement protégées comparaîtront pour détention, circulation et tentative de commercialisation d’ivoire, de peaux de panthère et d’écailles de pangolin. Au-delà de la dimension judiciaire, ces dossiers illustrent la priorité accordée par l’État congolais – sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso – à la lutte contre la criminalité environnementale, désormais reconnue comme une menace directe pour la stabilité économique, la réputation internationale et la résilience sociale du pays.

Dans les corridors fluviaux et forestiers qui relient Cuvette, Cuvette-Ouest et Likouala, le trafic de faune sauvage s’est longtemps appuyé sur la porosité des frontières et la faible densité démographique. Or, depuis trois ans, la Gendarmerie nationale a densifié son dispositif, ouvrant des postes avancés et lançant des opérations baptisées « Griffes d’Ivoire » afin de tarir les flux logistiques des contrebandiers. La récente interpellation d’un individu porteur de trois pointes d’ivoire – l’équivalent de deux éléphanteaux – démontre l’efficacité de ces patrouilles mixtes réalisées de concert avec les agents des Eaux-et-Forêts.

Dispositif conjoint Gendarmerie-Forêts : retour d’expérience

Selon le lieutenant-colonel Raymond Mbemba, chef d’état-major de la Légion de gendarmerie Nord, « l’adossement systématique à l’expertise technique des inspecteurs forestiers permet de qualifier immédiatement les infractions et d’éviter la perte de preuves ». Sur le terrain, chaque patrouille rassemble un enquêteur judiciaire, un spécialiste de la biométrie animale et un maître-chien formé à la détection d’ivoire. Ce schéma, validé par le ministère de l’Intérieur et la haute hiérarchie militaire, répond à une logique de mutualisation des moyens dans un contexte budgétaire contraint.

Le soutien du Projet d’appui à l’application de la loi sur la faune sauvage apporte un complément décisif : radios cryptées, drones civils de surveillance à voilure fixe et modules de formation à la chaîne de custody. Les premières évaluations internes, communiquées en septembre, montrent une baisse de 18 % des incidents de braconnage signalés dans la zone pilote d’Owando depuis le déploiement intégral du dispositif.

Chaîne pénale spécialisée et enjeux de renseignement

La réussite opérationnelle ne se mesure pas uniquement à l’arrestation. Encore faut-il transformer la saisie en condamnation effective, dissuasive et conforme au Code de la faune. Le parquet de la Cuvette s’est doté d’un magistrat référent faune, chargé de la coordination avec les unités d’enquête. Cette approche verticale réduit les délais de procédure ; elle garantit aussi la conservation inaltérée des scellés, condition essentielle à la tenue d’un procès équitable et fondé sur la preuve scientifique.

Sur le plan du renseignement, la sous-direction territoriale du Service central de recherche et d’investigation criminelle investit les cercles de logistique illicite. L’exploitation de téléphonie mobile saisie auprès du suspect interpellé le 29 novembre 2024 a permis de cartographier un réseau dont les ramifications s’étendent jusqu’à Etoumbi et, au-delà, vers le point de sortie fluvial de Makoua. Les analystes de la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure y voient un cas d’école de convergence entre criminalité environnementale et criminalité organisée transfrontalière, susceptible de financer d’autres menaces, y compris terroristes, dans le bassin du Congo.

Impact stratégique sur la biodiversité nationale

La conservation de l’éléphant de forêt, de la panthère et du pangolin n’est pas qu’une exigence morale ou écologique ; elle participe à la sécurité humaine des populations riveraines. La disparition de ces espèces déséquilibrerait les chaînes trophiques, fragiliserait les activités agricoles et affaiblirait les possibilités de développement de l’écotourisme, secteur identifié comme relais de croissance post-pétrole par le Plan national de développement 2022-2026. D’où la sévérité des peines prévues : jusqu’à cinq ans de réclusion et cinq millions de FCFA d’amende, assorties de dommages et intérêts civils.

Le colonel Jean-Baptiste Okoumba, directeur de la Faune et des Aires protégées, rappelle que « la sécurité environnementale est le prolongement naturel de la sécurité nationale ». Son service travaille déjà avec l’état-major des Forces armées congolaises pour intégrer, dans les futurs exercices interarmées, un module d’intervention contre les crimes liés à la biodiversité, notamment dans les zones fluviales susceptibles d’abriter des caches d’ivoire.

Perspectives de coopération régionale

Les retombées de l’affaire d’Owando dépassent les frontières congolaises. La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) finalise un plan d’action sur la circulation illicite de produits fauniques, prévoyant l’interopérabilité des bases de données et la création d’équipes d’enquête mixtes. Brazzaville, qui assure la présidence tournante du Comité des chefs de police d’Afrique centrale, propose d’héberger un centre de fusion des renseignements environnementaux à Oyo, au cœur d’un triangle stratégique reliant Pointe-Noire, Kinshasa et Libreville.

Dans l’immédiat, les appareils sécuritaires congolais se concentrent sur la cristallisation judiciaire des dossiers d’Owando et d’Impfondo. Les verdicts attendus serviront de boussole, fixant la ligne de crête entre politique pénale exemplaire et respect strict des droits de la défense. Quelle que soit l’issue des débats, l’État aura démontré sa détermination à maintenir la souveraineté juridique sur ses ressources naturelles et à mobiliser, le cas échéant, la puissance publique pour préserver un capital faunique qui constitue, à long terme, un atout stratégique aussi décisif que ses réserves énergétiques.

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