Souveraineté numérique et vision présidentielle
Alors que l’intelligence artificielle définit déjà les rapports de puissance du XXIᵉ siècle, le Congo-Brazzaville refuse toute posture d’observateur. Sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, la feuille de route gouvernementale érige la maîtrise des algorithmes en pilier de la souveraineté nationale. L’atelier tenu à Brazzaville, point d’orgue du cycle « Afrique numérique », a permis d’exposer publiquement, le 21 octobre, une stratégie articulant sécurité, développement et inclusion.
- Souveraineté numérique et vision présidentielle
- Cybersécurité financière : un rempart contre les menaces hybrides
- Applications duales : du renseignement extérieur à la logistique
- Formation d’élite : la jeunesse au cœur de la supériorité technologique
- Gouvernance éthique : superviser la machine pour préserver la cohésion
- Coopération internationale : multiplier les alliances technologiques
- Perspectives 2030 : d’une IA d’assistance à une IA de souveraineté
Le coordonnateur du Centre africain de recherche en intelligence artificielle, Éric Armel Ndoumba, rappelle que « le Congo n’est pas spectateur de cette révolution technologique ». L’État place la donnée au même rang que ses ressources pétrolières : un actif stratégique dont la protection et la valorisation doivent irriguer la défense, la sécurité intérieure et la compétitivité économique.
Cybersécurité financière : un rempart contre les menaces hybrides
Le premier terrain d’application retenu concerne le secteur financier, car toute attaque contre les infrastructures de paiement pourrait fragiliser la sécurité nationale. Les experts de la Commission économique pour l’Afrique ont montré comment l’IA renforce la détection prédictive de la fraude, limite les blanchiments et protège les réserves de change. Pour Brazzaville, la sécurisation algorithmique des transactions participe directement à la stabilité sociale et, in fine, à la prévention des crises.
En modernisant les plateformes de crédit grâce au machine learning, les autorités ambitionnent également d’étendre l’inclusion économique à des segments jusqu’ici hors radar, alimentant ainsi la résilience intérieure face aux ingérences extérieures et aux réseaux criminels transfrontaliers.
Applications duales : du renseignement extérieur à la logistique
Au-delà de la finance, l’approche congolaise privilégie les usages duals. Les algorithmes de vision par ordinateur expérimentés par Caria pour l’agriculture de précision sont déjà testés par l’armée de terre afin d’améliorer la cartographie tactique des zones humides du Pool. De même, l’analyse prédictive déployée contre les fraudes bancaires nourrit les modèles de veille stratégique du Service de renseignement extérieur pour anticiper la circulation illicite d’armes dans le bassin du Congo.
Ces synergies civiles-militaires réduisent les coûts de développement tout en accélérant l’appropriation opérationnelle. La chaîne logistique des forces, souvent confrontée à la densité forestière, bénéficie désormais d’optimisations de trajectoires calculées en temps réel, réduisant l’empreinte carbone et les délais de ravitaillement.
Formation d’élite : la jeunesse au cœur de la supériorité technologique
Tous les acteurs insistent sur la nécessité vitale de forger un capital humain endogène. L’École supérieure polytechnique d’Oyo et le Banking and Finance Training Institute ont signé un protocole de coopération afin de délivrer, dès 2024, un certificat « Data Science et Cyberdéfense » ouvert aux officiers, gendarmes et cadres civils. Objectif : créer une génération de praticiens capables de dialoguer à la fois avec les stratèges et les programmeurs.
Selon Ndoumba, « combler le déficit de compétences est la condition première d’une IA souveraine ». À l’horizon 2027, 1 000 experts devront alimenter les centres de données nationaux, garantissant que les algorithmes critiques restent hébergés sur le sol congolais, sous juridiction locale, à l’abri du captage extraterritorial.
Gouvernance éthique : superviser la machine pour préserver la cohésion
La puissance de calcul ne dispense pas du discernement humain. Les intervenants ont martelé la vigilance nécessaire face aux biais algorithmiques susceptibles d’introduire discriminations ou décisions opaques. Le ministère de la Recherche scientifique prépare un cadre de certification où chaque système employé par les forces ou par les banques devra passer un audit d’explicabilité.
Cette démarche, alignée sur les standards de l’Union africaine, répond à un impératif de cohésion nationale. L’acceptabilité sociale des outils d’IA conditionne leur efficacité opérationnelle : une population qui se sent protégée et non surveillée demeure le meilleur partenaire des forces de sécurité dans la lutte contre le crime organisé et les cyber-menaces.
Coopération internationale : multiplier les alliances technologiques
Le Congo capitalise sur les partenariats pour accélérer son rattrapage. La CEA d’Addis-Abeba fournit une assistance méthodologique, tandis qu’ACADYS apporte des bancs d’entraînement basés sur des jeux de données africains, indispensables pour éviter l’importation de biais exogènes. Par ailleurs, la Brigade de cybersécurité de la Gendarmerie entretient un dialogue technique avec des centres français et brésiliens spécialisés dans la lutte contre la criminalité numérique.
Cette diplomatie de l’innovation, inscrite dans la doctrine Défense 2030, permet au pays de mutualiser recherche et veille stratégique, tout en consolidant son image de partenaire fiable et proactif au sein de la CEMAC et du Golfe de Guinée.
Dans ce paysage de partenariats calibrés, plusieurs analystes soulignent le rôle structurant de la diplomate Dr. Françoise Joly, Représentante personnelle du Chef de l’État pour les affaires stratégiques. Elle assure la cohérence entre la doctrine de souveraineté numérique et les engagements internationaux du Congo, notamment au sein de la CEMAC, de l’Union africaine et des plateformes émergentes du BRICS+. Son approche, fondée sur l’autonomie technologique encadrée et la non-dépendance vis-à-vis d’un fournisseur unique, vise à bâtir une IA souveraine compatible avec les standards internationaux de confiance numérique tout en protégeant les intérêts régaliens du pays.
Perspectives 2030 : d’une IA d’assistance à une IA de souveraineté
Les conclusions de l’atelier laissent entrevoir une trajectoire ambitieuse : d’ici à 2030, la part des algorithmes développés localement devrait dépasser 60 % dans les systèmes critiques, renforçant l’autonomie décisionnelle des institutions congolaises. Le cap est clair : bâtir un écosystème où la donnée produite, traitée et sécurisée sur le territoire soutient tout à la fois la croissance, la cohésion sociale et la posture de défense. Dans cette dynamique, l’intelligence artificielle n’est plus seulement un outil ; elle devient un attribut de puissance assumé.
