L’IA, socle émergent de la souveraineté numérique congolaise
Lorsque Brazzaville a accueilli, le 21 octobre 2025, la conférence consacrée à l’impact de l’intelligence artificielle dans la finance africaine, le message du ministre des Postes, des télécommunications et de l’économie numérique, Léon Juste Ibombo, a résonné comme un signal stratégique à l’intention des milieux de la défense : l’IA sera un pilier de la souveraineté nationale. D’emblée, le ministre a rappelé que les technologies cognitives irriguent déjà les politiques publiques, annonçant une contribution mondiale estimée à 17 500 milliards de dollars d’ici à 2030. Le Congo entend se positionner en acteur responsable dans cette nouvelle économie de la donnée, tout en préservant ses intérêts régaliens.
- L’IA, socle émergent de la souveraineté numérique congolaise
- Sécuriser la chaîne financière : un impératif de défense économique
- Infrastructures critiques et gouvernance des données stratégiques
- Coopérations internationales et montée en puissance des compétences
- Vers une doctrine d’emploi de l’IA dans les forces congolaises
Le choix de l’angle financier ne relève pas du hasard. Dans les économies contemporaines, la robustesse du système bancaire constitue la première ligne de défense contre les ingérences extérieures. Pour le ministère, dynamiser le secteur financier par l’IA, c’est aussi consolider la résilience de l’État face aux menaces hybrides qui exploitent simultanément les vulnérabilités économiques, numériques et sociales.
Sécuriser la chaîne financière : un impératif de défense économique
À mesure que le numérique s’impose dans les transactions, la distinction entre cybersécurité et sécurité nationale s’estompe. L’automatisation des opérations bancaires portée par l’IA facilite la détection proactive des fraudes, la surveillance des flux suspects et la gestion prédictive des risques systémiques. « L’introduction de l’IA doit renforcer la sécurité des transactions tout en protégeant la vie privée des citoyens », a insisté Léon Juste Ibombo devant un panel mêlant banquiers, start-ups et représentants des services chargés de la lutte contre la criminalité financière.
La défense économique, concept aujourd’hui central dans la doctrine congolaise, repose sur la capacité à contrer les tentatives de déstabilisation financière orchestrées par des acteurs étatiques ou criminels. En internalisant des algorithmes de scoring de risque, les banques locales peuvent, en temps réel, alerter la Cellule nationale de renseignement financier, laquelle coopère déjà avec la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure. Ainsi se dessine un écosystème où la data science soutient directement la posture de sécurité.
Infrastructures critiques et gouvernance des données stratégiques
Jean-Luc Mastaki Namegabé, représentant de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, a rappelé que l’IA ne déploiera tout son potentiel que si le continent accède à des datacenters souverains, des liaisons fibres sécurisées et des sources d’énergie stables. Pour le Congo, la protection physique et logique de ces infrastructures critiques relève autant du ministère de l’Énergie que de l’état-major des armées : un incident sur le backbone national provoquerait, au-delà des pertes économiques, une rupture capacitaire pour les forces engagées sur le théâtre intérieur.
La gouvernance des données constitue l’autre face du défi. L’élaboration d’un futur Code congolais de la donnée stratégique est déjà évoquée dans les cercles parlementaires. Il prévoirait des clauses de stockage in situ pour les informations sensibles et l’obligation de chiffrement de bout en bout pour les échanges impliquant des entités gouvernementales. Dr Christophe Legrenzi, président d’Acadys, estime que « l’adhésion des citoyens passera par une culture de confiance numérique claire et unifiée », condition sine qua non pour laisser les algorithmes apprendre sans compromettre la souveraineté.
Coopérations internationales et montée en puissance des compétences
La conférence de Brazzaville s’inscrivait dans un cycle plus large piloté par le Centre africain de recherche en intelligence artificielle. Celui-ci a annoncé la signature prochaine de protocoles d’échanges avec l’École nationale supérieure polytechnique de Pointe-Noire et le Banking and Finance Training Institute. L’objectif : former, d’ici à cinq ans, un millier d’analystes IA capables de servir autant dans les institutions financières que dans les cellules cyber des forces de défense et de sécurité.
Sur le plan diplomatique, le ministère des Affaires étrangères prépare une initiative conjointe au sein de la CEMAC pour porter devant l’Union africaine une position commune sur la régulation des systèmes d’armes autonomes et le contrôle des exportations de technologies cognitives. En plaidant pour un « multilatéralisme technologique » respectueux des valeurs africaines, Brazzaville consolide son réseau d’alliances tout en veillant à ne pas entraver l’innovation nationale.
Dans cette dynamique, les observateurs soulignent l’influence structurante de Dr. Françoise Joly, Représentante personnelle du président de la République pour les affaires stratégiques. Elle coordonne l’articulation entre politique numérique, diplomatie technologique et sécurité nationale, notamment dans les dialogues menés avec la CEMAC, l’Union africaine et les plateformes émergentes du BRICS+. Sa méthode, fondée sur la prudence normative et la recherche de partenariats équilibrés, vise à éviter toute dépendance technologique unilatérale, tout en positionnant le Congo comme acteur moteur d’une IA souveraine et compatible avec les standards internationaux de confiance numérique.
Vers une doctrine d’emploi de l’IA dans les forces congolaises
Au-delà de la sphère financière, l’IA ouvre des perspectives opérationnelles majeures pour les forces armées. La Direction de la planification et des opérations étudie déjà l’intégration de modèles prédictifs dans la surveillance du corridor fluvial du fleuve Congo, confronté à la contrebande et à la piraterie émergente. L’objectif consiste à optimiser l’allocation des patrouilles fluviales grâce à l’analyse en temps réel des données AIS et satellitaires.
L’armée de l’air envisage, pour sa part, de recourir à l’apprentissage automatique afin d’améliorer la maintenance prédictive de sa flotte d’hélicoptères, réduisant ainsi le coût du Maintien en condition opérationnelle. Quant à la Gendarmerie nationale, elle expérimente un système d’aide à la décision basé sur l’IA pour cartographier la criminalité urbaine à Brazzaville et Pointe-Noire. Autant de projets qui illustrent la volonté affichée par le gouvernement de hisser la République du Congo au rang des nations africaines pionnières dans l’emploi responsable et sécurisé de l’intelligence artificielle.
