Kulunas traqués : la DGSP muscle la sécurité urbaine

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Contexte sécuritaire à Brazzaville

Depuis plus d’une décennie, la capitale congolaise affrontait une recrudescence d’agressions violentes imputées aux bandes dites « Kulunas » et « bébés noirs », dont certains membres n’avaient pas atteint la majorité légale. Les enlèvements éclair, les viols et les cambriolages diurnes s’étaient banalisés, entamant le tissu socio-économique des quartiers les plus denses. À Bacongo, Moungali ou Makélékélé, le crépuscule sonnait comme un couvre-feu officieux imposé par ces groupes armés d’outils contondants et de lames improvisées.

La réponse institutionnelle demeurait jusqu’alors éclatée : la Police, la Gendarmerie, les unités territoriales menaient des actions ponctuelles, souvent entravées par des procédures judiciaires longues ou par l’évasion des prévenus. L’opinion publique, relayée par les associations de commerçants et les comités de quartier, demandait une riposte plus décisive. C’est dans ce contexte qu’a été déclenchée, début octobre, l’opération de sécurisation conduite par la Direction générale de la sécurité présidentielle (DGSP) avec l’aval du Conseil national de sécurité présidé par le chef de l’État Denis Sassou Nguesso.

Créée par décret dès la fin des années 1990, la DGSP dispose d’un statut d’unité spécialisée relevant directement de la Présidence de la République mais opérant, lorsqu’elle agit hors du périmètre de protection rapprochée, sous réquisition expresse du ministère de l’Intérieur. Le dispositif juridique s’appuie sur l’article 204 du Code de procédure pénale qui autorise toute force assermentée à prêter main-forte à la Police nationale dans les cas de flagrance ou de menace grave à l’ordre public.

Dans son rapport d’engagement, le commandant de la DGSP, le général de division André Eboundit, souligne que la chaîne de commandement reste intégrée au Centre national des opérations (CNO). Les actions de terrain sont planifiées au sein d’un poste de commandement mixte regroupant officiers de la DGSP, de la Direction générale de la police nationale et de la Gendarmerie. Cette architecture vise à garantir la circulation de l’information, la traçabilité des interventions et l’articulation avec l’autorité judiciaire.

Dispositif opérationnel et résultats tangibles

Pendant trois semaines, des patrouilles motorisées, appuyées par des équipes cynophiles et des drones d’observation de fabrication locale, ont quadrillé les axes sensibles. L’emploi de micro-stations de renseignement d’origine électromagnétique a permis de localiser les téléphones satellitaires utilisés par certains chefs de gangs pour coordonner des raids simultanés. À Mpila, une cache d’armes blanches et de stupéfiants a été démantelée, tandis qu’à Talangaï, l’arrestation de deux fugitifs recherchés depuis 2021 a été conduite sans tir réel grâce au dispositif de négociation intégré à l’équipe d’intervention.

Selon les chiffres communiqués par le parquet de Brazzaville, quatre-vingt-dix-huit individus ont été interpellés, dont soixante-six placés sous mandat de dépôt pour association de malfaiteurs, homicide ou viol aggravé. Les homicides signalés dans la capitale auraient diminué de 42 % sur la période, tandis que les plaintes pour vol avec violence reculent de 37 %. Les riverains témoignent d’une quiétude inédite ; « On entend de nouveau les enfants jouer dans la rue après le coucher du soleil », confie le président du comité riverain de Mfilou, Pascal Kakou.

L’opération a également inclus la régulation du transport à deux-roues, secteur souvent instrumentalisé par les malfaiteurs pour leurs repérages. L’immatriculation obligatoire, le port du casque homologué et le gilet fluorescent numéroté s’inscrivent dans une logique de contrôle de mobilité. Trois cent cinquante motos non conformes ont été immobilisées, et plusieurs conducteurs étrangers exerçant sans autorisation ont été réorientés vers la procédure légale d’établissement.

Encadrement juridique et droits fondamentaux

Des organisations de défense des droits humains ont exprimé des réserves quant aux modalités d’usage de la force. Le ministre de la Justice, Aimé-Hyacinthe Mikolo, a rappelé devant la Commission des lois du Sénat que la Constitution prohibe les exécutions extrajudiciaires et impose la présentation rapide des suspects au procureur. À cette fin, un groupe d’observateurs judiciaires a été détaché dans les salles de garde à vue pour s’assurer du respect des délais et de la présence d’avocats commis d’office.

La DGSP affirme avoir diffusé, en amont de l’opération, une directive interne détaillant les règles d’engagement : gradation de l’usage de la force, secours immédiat aux blessés, enregistrement vidéo des interventions sensibles. Des formations courtes sur le droit international humanitaire, animées par l’École de gendarmerie d’Owando, ont rassemblé cent vingt sous-officiers. « La protection des citoyens est notre boussole », martèle le colonel-médecin Grâce Mouandza, responsable de la cellule civilo-militaire chargée du dispositif sanitaire d’urgence.

Perspectives : vers une approche globale de sécurité

Si les indicateurs criminels s’améliorent, les autorités reconnaissent que la durabilité des gains passe par une stratégie intégrée, associant prévention, renseignement économique et cohésion sociale. Le ministère délégué chargé de la Planification prépare un fonds de réinsertion pour favoriser la formation professionnelle des repentis et soutenir les micros-entreprises dans les quartiers à risque. Parallèlement, la Cellule nationale de lutte contre la corruption est appelée à intensifier l’investigation des détournements de fonds publics, afin d’éviter que les progrès sur la violence de rue ne soient annihilés par l’impunité financière.

Au plan régional, Brazzaville va proposer lors du prochain sommet de la CEMAC une plateforme partagée d’analyse criminelle, inspirée du modèle Interpol, afin de suivre les flux transfrontaliers d’armes artisanales. Les premiers tests de connectivité entre les centres opérationnels de Pointe-Noire, Libreville et Yaoundé laissent entrevoir une mutualisation du renseignement d’ici à la fin de l’année.

Dans une société où la jeunesse représente plus de 60 % de la population, la sécurité urbaine se conjugue désormais avec l’inclusion. L’opération anti-Kulunas, en réaffirmant le monopole légitime de la force publique, ouvre la voie à un contrat social renouvelé : un espace public protégé, des institutions responsables et une population actrice de sa propre sécurité.

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