Kulunas traqués: les évêques reçus au Palais

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Brazzaville sous haute vigilance sécuritaire

En conviant, le 23 octobre, une délégation de la Conférence épiscopale conduite par Mgr Bienvenu Manamika Bafouakouahou à la Résidence du Plateau, le Président Denis Sassou Nguesso a placé la lutte contre les « Bébés noirs » au rang de priorité nationale. Le phénomène, enraciné dans certains quartiers périphériques de Brazzaville et de Pointe-Noire sous l’appellation « kuluna », s’est récemment mué en menace diffuse pour la quiétude des citoyens et l’attractivité économique de la capitale. Le rendez-vous présidentiel, élargi au ministre de l’Intérieur Raymond Zéphirin Mboulou et aux conseillers sécuritaires, visait à clarifier la portée d’une campagne de sécurisation menée depuis plusieurs semaines par la Direction générale de la Sécurité présidentielle (DGSP).

La menace des « Bébés noirs » : cartographie et modus operandi

Fruit de réseaux informels, souvent alimentés par le décrochage scolaire et l’économie parallèle, les groupes de « kulunas » se distinguent par des attaques éclairs à l’arme blanche ou artisanale, semant la psychose dans le tissu urbain. Si leur effectif demeure fluctuant, les services de renseignement intérieur estiment que la structure de ces bandes repose sur des noyaux mobiles capables de se reconfigurer pour échapper à la police. L’hybridation des violences de rue avec des trafics locaux – carburant, métaux, substances illicites – confère à la menace une dimension économique et sociétale que ne peut ignorer la politique de défense globale du pays. Dès lors, l’action répressive s’accompagne d’un volet préventif s’appuyant sur le triptyque renseignement, appui psychologique et réinsertion.

DGSP : un dispositif interforces sous contrôle civil

Placée sous l’autorité directe du chef de l’État, la DGSP pilote l’opération de neutralisation en coordination étroite avec la Police nationale, la Gendarmerie et les antennes urbaines de la Direction générale de la Surveillance du territoire. Le plan d’engagement articule quadrillage éclair des zones sensibles, opérations ponctuelles de reconquête nocturne et déploiement de capacités d’observation discrète. Selon une source sécuritaire présente lors de l’audience, le centre de commandement conjoint reçoit en temps réel les images captées par drones tactiques et caméras fixes, assurant une appréciation permanente de situation. L’accent est mis sur la réduction du risque collatéral ; à cet égard, chaque phase est précédée d’ordres d’opération validés par l’autorité civile, conformément aux prescriptions du droit interne et des engagements internationaux du Congo.

La parole présidentielle : paix civile et légitimité de l’action

Face aux interrogations pastorales, Denis Sassou Nguesso a livré un exposé qualifié par Mgr Manamika de « détaillé, sincère et apaisant ». Le chef de l’État a rappelé que « malgré la douleur, malgré les interprétations qu’il peut y avoir, l’objectif est de faire en sorte que du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, le Congo vive en paix ». Cette formule, rapportée à la sortie de l’entretien, souligne la volonté présidentielle d’enraciner l’opération dans un cadre de légitimité consensuelle. Tout en réaffirmant la prééminence du pouvoir civil, le président a insisté sur la nécessité de protéger les droits fondamentaux des citoyens, y compris ceux des jeunes interpellés, à travers une chaîne pénale respectueuse des garanties judiciaires.

Église et État : une synergie au service de la résilience sociale

Le dialogue instauré avec le clergé n’est pas anodin ; il s’inscrit dans une tradition congolaise où l’Église joue un rôle pivot de médiation sociale. En informant les évêques des tenants opérationnels, l’Exécutif se dote d’un relais capable de moduler la perception populaire d’une action parfois perçue comme strictement coercitive. De son côté, la hiérarchie catholique, forte de son ancrage communautaire, peut contribuer à identifier les vulnérabilités familiales qui alimentent la délinquance juvénile. Cette complémentarité, articulée autour de programmes de sensibilisation, de chantiers de formation professionnelle et d’assistance psycho-sociale, accroît l’efficacité globale de la stratégie sécuritaire tout en consolidant le lien armée-nation.

Vers une gouvernance sécuritaire inclusive

Au-delà de la seule question des « Bébés noirs », l’audience laisse entrevoir une méthode de gouvernance où la lutte contre les menaces émergentes s’appuie sur l’écoute des corps intermédiaires et l’expertise opérationnelle des forces. La maturation de cette approche pourrait déboucher sur la mise en place d’un Observatoire national de la violence urbaine, outil d’analyse croisée des indicateurs sociaux et sécuritaires. Parallèlement, l’actualisation du Plan national de prévention de la délinquance juvénile, adossée aux retours d’expérience de la DGSP, permettrait de consolider la résilience urbaine avant que la menace n’atteigne un seuil critique. À défaut d’éradiquer le phénomène, la conjugaison de la fermeté républicaine et du dialogue pastoral constitue, à ce stade, la meilleure garantie d’une paix civile durable.

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