Qualification historique et écho continental
La dixième journée des éliminatoires africains a scellé la présence du Ghana, du Cap-Vert, de l’Afrique du Sud, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire aux côtés du Maroc, de la Tunisie, de l’Égypte et de l’Algérie pour le Mondial 2026. À première vue, l’information relève du pur registre sportif. Pourtant, l’élargissement de la compétition à quarante-huit équipes et la perspective d’un tournoi organisé sur trois pays nord-américains déplacent immédiatement la question vers le champ régalien de la sécurité et de la diplomatie d’influence.
- Qualification historique et écho continental
- Vers un Mondial élargi : défi logistique et sécuritaire
- Cap-Vert, Ghana, Sénégal : la diplomatie sportive en marche
- Coordination policière continentale avant 2026
- Industrie de la sûreté privée africaine : un marché en essor
- Implications cyber : la menace invisible
- Enjeux de renseignement et lutte contre les influences
- Vers 2026 : une opportunité stratégique
Dans nombre de chancelleries, les victoires des sélections africaines sont déjà interprétées comme des succès de soft power. « Le football constitue un formidable vérificateur de cohésion nationale, mais également un vecteur d’image à l’international », souligne un conseiller diplomatique à Brazzaville. Cette dimension symbolique ouvre un espace d’initiatives pour les armées et les forces de sécurité intérieure, traditionnellement mobilisées sur les grands rassemblements transnationaux.
Vers un Mondial élargi : défi logistique et sécuritaire
Le passage de trente-deux à quarante-huit participants induit une augmentation exponentielle des flux de supporters, de journalistes et de délégations officielles. Les organisateurs nord-américains estiment déjà à plus de six millions le nombre de spectateurs cumulés, un chiffre qui impose une planification quasi-militaire des transports, de l’hébergement et de la cybersécurité. Les États africains qualifiés devront, de leur côté, escorter, identifier et protéger leurs ressortissants sur un théâtre continental s’étendant de Vancouver à Mexico.
L’état-major de la Gendarmerie sénégalaise a annoncé la création d’une cellule ad hoc chargée de la coordination avec INTERPOL et Homeland Security. À Accra, la Police Service s’apprête à envoyer des officiers de liaison permanents vers Washington afin d’anticiper les questions de police des frontières et de lutte contre la traite des êtres humains. Ces démarches, encore confidentielles, tracent les contours d’une diplomatie sécuritaire discrète mais décisive.
Cap-Vert, Ghana, Sénégal : la diplomatie sportive en marche
La première qualification historique du Cap-Vert focalise l’attention des partenaires internationaux. Archipel stratégique sur la route des narcotrafics, le pays a consenti d’importants efforts pour moderniser sa Garde côtière et son service de renseignement intérieur. Lisbonne et Brasilia, alliés de longue date, voient dans cet événement l’occasion de densifier les programmes de formation conjointe, notamment dans les domaines ISR maritime et cyber-surveillance des ports.
Au Ghana, la présidentielle de 2024 avait déjà placé la sécurité des infrastructures sportives au cœur du débat public. La reconduction d’un budget spécifique de 25 millions de dollars pour la protection des stades et des fan-zones témoigne de la volonté d’Accra d’afficher un standard opérationnel de niveau OTAN, selon les termes du brigadier-général Samuel Nkrumah. Dans la foulée, le gouvernement a ouvert un appel d’offres pour 300 scanners corporels et un système de commande-contrôle intégré, auxquels plusieurs industriels européens et turcs se sont positionnés.
Coordination policière continentale avant 2026
L’Union africaine, via son Mécanisme Afripol, a inscrit la Coupe du monde 2026 à l’agenda de la Conférence ministérielle sur la sûreté publique. L’idée, soutenue par Brazzaville, consiste à mettre sur pied un centre de fusion d’informations temporaires afin de suivre les déplacements des groupes de supporters et de prévenir les activités criminelles connexes. « Nous devons passer d’une logique d’assistance à une logique de coresponsabilité », insiste le commissaire congolais Fabrice Okemba, point de contact national Afripol.
Dans la même veine, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) étudie la mutualisation des moyens aériens pour les vols spéciaux à destination de l’Amérique du Nord. Les accords de facilitation conclus avec Air Transport International prévoient la présence à bord d’équipes mixtes gendarmerie-médecins urgentistes, un modèle expérimental de projection rapide de souveraineté sanitaire et sécuritaire.
Industrie de la sûreté privée africaine : un marché en essor
L’effervescence autour du Mondial 2026 stimule également la filière africaine de la sécurité privée. Entre Dakar, Abidjan et Johannesburg, les sociétés de gardiennage recrutent massivement d’anciens militaires pour proposer aux opérateurs touristiques des packages intégrant protection rapprochée, cybersurveillance et assurance rapatriement. D’après une étude de l’Institut de recherche stratégique de Pretoria, le segment pourrait dépasser 1,2 milliard de dollars de chiffre d’affaires sur la période 2024-2027.
Les armuriers locaux, quant à eux, espèrent bénéficier de commandes additionnelles en équipements non léthaux – lanceurs cinétiques, munitions de défense et boucliers balistiques. Le cadre réglementaire, encore disparate, incite les ministères de l’Intérieur à accélérer la normalisation des matériels afin d’éviter les ruptures de chaîne logistique durant le tournoi.
Implications cyber : la menace invisible
Lors du Mondial 2022 au Qatar, plus de 25 000 tentatives d’intrusion quotidiennes ont été enregistrées sur les réseaux des Fédérations. Les services de renseignement africains qualifiés pour 2026 s’en inspirent pour bâtir des cellules SOC redondantes. L’Afrique du Sud, forte de son Agence nationale de sécurité des communications, proposera un centre de résilience cyber mutualisé pour les délégations africaines hébergées dans la région de Dallas.
Le Sénégal, pionnier du cryptage souverain en Afrique de l’Ouest, planifie déjà des exercices de type red teaming contre ses propres plateformes de billetterie. « Le football est désormais une surface d’attaque, pas seulement un terrain de jeu », avertit le colonel-ingénieur Seydou Ba lors d’un forum à Dakar.
Enjeux de renseignement et lutte contre les influences
La présence simultanée de dizaines de chefs d’État et de gouvernements au match d’ouverture entraînera une concentration inédite de signaux diplomatiques. Pour les services de renseignement extérieurs africains, l’événement représente une occasion d’observation rapprochée autant qu’un risque accru d’ingérence informationnelle. Plusieurs capitales disent redouter des campagnes de désinformation ciblant la diaspora africaine aux États-Unis.
Face à ces menaces, le Maroc propose de réactiver la task-force mise en place en 2022 avec l’Arabie saoudite pour la sécurité du pèlerinage, adaptée au contexte sportif. Les satellites d’observation Mohammed VI pourraient être mis à contribution pour la surveillance des flux aériens transatlantiques, signe de la synergie grandissante entre capacités militaires, diplomatiques et culturelles.
Vers 2026 : une opportunité stratégique
Au-delà de la quête du trophée, la Coupe du monde 2026 agit déjà comme un accélérateur de réformes et de coopérations sécuritaires sur le continent. Elle ouvre un laboratoire grandeur nature où se testent les chaines logistiques, les doctrines de maintien de l’ordre et l’interopérabilité cyber. Les neuf qualifiés actuels, rejoints peut-être par le Cameroun ou la République démocratique du Congo au terme des barrages, portent collectivement la responsabilité de démontrer que l’Afrique sait exporter sa sécurité au même titre que son talent sportif.
Pour Brazzaville, observatrice impliquée dans la diplomatie régionale, l’activation de ces mécanismes constitue aussi un signal de confiance adressé à l’ensemble des partenaires de la CEMAC. À mesure que s’approche l’été 2026, la réussite de l’opération jouera autant sur la justesse tactique des sélections que sur la solidité de l’architecture sécuritaire africaine, désormais partie prenante du grand jeu mondial.