Une vocation numérique au service du prétoire
Lorsqu’il entre en 2020 dans la salle d’audience du Tribunal de grande instance de Brazzaville, Murphy Fred Viclaire Miékountima Sémo n’emporte pas seulement ses codes civils et pénaux ; il glisse aussi dans la poche intérieure de sa robe la conviction qu’un juge du XXIᵉ siècle doit maîtriser les lignes de code qui structurent le cyberespace. À trente-deux ans, ce magistrat incarne une génération pour laquelle la souveraineté numérique complète la maîtrise de l’espace aérien ou des eaux territoriales.
- Une vocation numérique au service du prétoire
- Un cursus hybride droit-technique d’avant-garde
- Le juge, pivot discret de la défense cybernétique
- Police et magistrature, tandem face aux menaces numériques
- Ancrer la souveraineté numérique dans la coopération internationale
- Moderniser sans déshumaniser la justice
Élevé parmi les cafés internet de Bacongo et les premiers téléphones intelligents, il pressent très tôt que les prochaines menaces contre la cohésion nationale se propageront par des réseaux invisibles. « Le numérique est un levier de modernisation, de dignité et de souveraineté pour nos institutions », confie-t-il, rappelant que sa robe noire n’a de sens que si elle protège le citoyen, en ligne comme hors ligne.
Un cursus hybride droit-technique d’avant-garde
Après un baccalauréat littéraire au Lycée Chaminade en 2011, il rejoint la Faculté de droit de l’Université Marien-Ngouabi, convaincu que le verbe juridique devra encadrer un jour la virtualité des algorithmes. Licence en 2014, maîtrise en 2016 puis formation d’auditeur de justice à l’École nationale d’administration et de magistrature entre 2019 et 2021 : chaque étape greffe une compétence technique à une approche doctrinale. Ses premières études comparaient déjà les législations française et congolaise en matière de preuve électronique. Il en ressort avec un master professionnel en cyberdroit, encore rare en Afrique centrale.
En 2022, il devient formateur à l’École nationale supérieure de police, où il initie les officiers à la répression des délits numériques. Il consolide actuellement ses compétences au Canada, puis à la University of Reading, sur la période 2024-2025, afin d’affiner son regard comparé sur la traçabilité des preuves électroniques. Cette mobilité académique illustre son refus du cloisonnement disciplinaire.
Le juge, pivot discret de la défense cybernétique
Au Congo-Brazzaville, la lutte contre les attaques informatiques mobilise le CERT et la police scientifique, mais aucune procédure n’aboutit sans un magistrat capable de qualifier l’infraction et d’ordonner la saisie de serveurs. En articulant droit pénal et preuve digitale, Murphy Sémo se place au confluent de la sécurité intérieure et de la défense nationale. Son ouvrage Le juge et la cybercriminalité au Congo, publié chez L’Harmattan, sert désormais de référence aux groupes de travail parlementaires sur le futur code de cyberdéfense. Il souligne que la collecte, la conservation et la présentation de logs réclament la même rigueur qu’une scène de crime physique.
Police et magistrature, tandem face aux menaces numériques
Les séminaires qu’il anime soulignent l’urgence de décloisonner les filières. Devant des enquêteurs, il rappelle que « la valeur d’un rapport s’effondre si le juge ne comprend pas l’architecture réseau associée ». Il plaide aussi pour des greffiers formés aux protocoles techniques afin de sécuriser la conservation des preuves. Cette démarche inspire la création du Réseau national des magistrats congolais en intelligence artificielle et cybersécurité, qui prépare des exercices conjoints avec la police et la gendarmerie. Un module commun d’entraînement simulant une attaque par ransomware est déjà à l’étude.
Ancrer la souveraineté numérique dans la coopération internationale
Les délégations étrangères venues discuter de piraterie dans le golfe de Guinée découvrent désormais un volet « justice numérique » porté par ce magistrat polyglotte. Invité régulier de colloques, il affirme que la coopération judiciaire, qu’elle soit bilatérale au sein de la CEMAC ou multilatérale via Interpol, constitue un pilier de la posture stratégique congolaise. Le renforcement des capacités numériques du parquet, insiste-t-il, protège directement les infrastructures énergétiques et portuaires soutenant la vision du président Denis Sassou Nguesso. Pour lui, chaque traité d’entraide pénale vaut autant qu’un accord de défense navale.
Moderniser sans déshumaniser la justice
À ceux qui redoutent une justice automatisée, Murphy Sémo répond que l’intelligence artificielle demeure un outil, jamais un arbitre. « Une justice du XXIᵉ siècle ne sera équitable que si elle s’appuie sur les outils de son temps », insiste-t-il. Son ambition est de faire rendre aux juridictions des décisions plus rapides, transparentes et accessibles sans sacrifier l’humanité du juge. En rapprochant data centers et palais de justice, il trace le sillon d’une magistrature à la fois technophile et humaniste.