Brazzaville consacre la plume sous l’uniforme
Le 16 septembre 2025, le Mémorial Pierre-Savorgnan-de-Brazza a troqué le murmure solennel des cérémonies militaires pour les modulations plus feutrées d’une célébration littéraire. À l’initiative du colonel-major Bellarmin Ndongui, directeur général de la stratégie, de la coopération et de la communication au Ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation, l’administration a inauguré une tradition appelée à s’inscrire durablement dans le calendrier institutionnel : honorer les « chevaliers de la plume sous l’uniforme bleu ».
Cette reconnaissance, placée sous le patronage académique de l’ancien sénateur Ludovic Robert Miyouna, rappelle qu’au-delà de la contrainte légale et de la discipline hiérarchique, la force publique possède une dimension réflexive indispensable à l’efficacité de la sécurité intérieure. L’événement incarne une forme de diplomatie culturelle intérieure : en révélant la profondeur intellectuelle de ses cadres, le ministère affine son image et renforce la confiance de la population dans l’action de l’État.
La communication institutionnelle, pivot stratégique
La journée s’est ouverte par un panel orchestré autour du thème « La communication institutionnelle, entre codes et liberté », conduit par le professeur Bienvenu Boudimbou. Face à un auditoire mêlant officiers, universitaires et acteurs des médias, les communicants Joachim Mbanza, Carine Ibombo Oyoma, Stanislas Itoua Ikama, ainsi que l’informaticien Alain Ndalla, ont disséqué les ressorts juridiques, techniques et éthiques d’une parole publique performante.
En s’emparant des technologies de l’information, la police et la gendarmerie congolaises entendent conjuguer réactivité opérationnelle et transparence maîtrisée. L’exercice souligne qu’à l’heure de la compétition des récits, chaque tweet ou communiqué devient un outil de prévention des crises, autant qu’un bouclier contre la désinformation. Pour les cadres du ministère, internaliser ces mécanismes revient à adjoindre à la matraque symbolique l’encre d’une pédagogie sécuritaire, capable de désamorcer les tensions sociales avant qu’elles ne franchissent le seuil de la violence.
Huit lauréats pour une même bannière intellectuelle
Le second temps fort de la journée a vu la proclamation des huit lauréats du Prix du livre : le général de police Albert Ngoto, le colonel-major Michel Innocent Péa, le colonel Charles N’Kouanga, le commissaire-colonel Roch-Cyriaque Galebayi, le colonel docteur Maurice Itous Ibara, le colonel Athanase Moussoungou, le capitaine de gendarmerie Charles-Peter Moukala Kinbzounza et le capitaine de gendarmerie Ruphin Sognélé.
Le directeur de cabinet Séraphin Ondélé, représentant le ministre, a salué « la portée symbolique d’un prix qui illustre l’alliance entre rigueur opérationnelle et élégance de la pensée ». Chaque officier a reçu, outre un trophée, une œuvre d’art célébrant cette symbiose. Les critiques invités ont brossé, ouvrage après ouvrage, un portrait révélateur : récits opérationnels, recueils de poésie, essais sur la doctrine policière ou méditations éthiques. De la salle émanait l’impression que la sécurité publique ne se limite pas aux statistiques d’interpellations, mais qu’elle se nourrit aussi des imaginaires que forgent celles et ceux qui la garantissent.
Culture stratégique : écrire pour servir et convaincre
Dans son adresse finale, le professeur Ludovic Robert Miyouna a dessiné un parallèle entre la tradition militaire du traité — de Sun Tzu à Clausewitz — et la vocation contemporaine des forces intérieures congolaises. « Vous êtes, a-t-il lancé, les gardiens des valeurs et les pionniers d’une aventure intellectuelle ; vos vers et vos essais sont autant de patrouilles dans l’esprit des citoyens ».
Ce positionnement révèle une compréhension fine du champ informationnel considéré comme un théâtre d’opérations à part entière. En donnant à voir les ressorts humanistes de l’uniforme, les officiers auteurs sapent les stéréotypes de coercition et ouvrent un dialogue empathique avec la société. Un tel capital narratif peut, demain, renforcer la résilience de la nation face à la piraterie du Golfe de Guinée, à la cyber-criminalité ou aux catastrophes naturelles, domaines où la croyance collective dans la compétence de la puissance publique reste un facteur décisif de succès.
Vers la pérennisation d’une diplomatie des plumes
Le colonel-major Ndongui, initiateur de la cérémonie, compte ancrer ce rendez-vous dans la durée. Son ambition : que chaque promotion d’officiers trouve, dans la littérature, un espace de respiration et d’innovation conceptuelle. Il espère, à terme, voir fleurir des cercles de lecture dans les écoles de police et de gendarmerie, afin de transformer l’écriture en instrument de leadership et de cohésion.
En inscrivant la plume au registre des capacités non cinétiques de la sécurité intérieure, le Ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation mise sur un multiplicateur d’effet stratégique à coût maîtrisé. L’action est conforme à la vision présidentielle d’une administration modernisée, ouverte aux savoirs et consciente de la dimension cognitive des menaces. À l’heure où les partenariats régionaux de la CEMAC se renforcent, l’exemple congolais pourrait rayonner au-delà des frontières et inspirer d’autres forces en quête d’une posture plus inclusive.
Au terme de cette journée, la scène brazzavilloise a offert le visage d’une sécurité intérieure qui ne se contente plus de réprimer, mais aspire à expliquer, convaincre et rassembler. L’arbre planté par Bellarmin Ndongui paraît déjà prometteur ; à mesure qu’il grandira, il déploiera un feuillage sous lequel écrivains en uniforme et citoyens pourront, ensemble, cultiver le sens profond de la protection de la Cité.
