L’appel du Préfet Edouard Denis Okouya
Au pied du mât dressé devant l’hôtel préfectoral de Ouesso, la brise humide de la Sangha portait, le 6 octobre, un message de fermeté. Profitant de la traditionnelle levée des couleurs, le Préfet Edouard Denis Okouya a exhorté ses administrés à « appuyer la force publique pour démanteler les clans d’inciviques, communément appelés Kuluna ou Bébés noirs ». L’avertissement, à la portée symbolique forte, intervient alors que les services de sécurité constatent une recrudescence d’actes d’intimidation et de braquages nocturnes, souvent ourdis par de très jeunes délinquants.
La mise en garde vise également ceux qui, par complaisance ou par calcul, abritent ces fauteurs de troubles. « Quiconque héberge un Kuluna s’expose aux mêmes poursuites pénales », a souligné le représentant de l’État. Cette rhétorique de coresponsabilité marque une inflexion notable : la lutte contre la criminalité juvénile n’est plus cantonnée aux seuls professionnels de la sécurité, elle devient un enjeu sociétal qui mobilise toutes les composantes du territoire.
Un phénomène transfrontalier aux portes du Nord
Situé à la lisière du Cameroun et de la République centrafricaine, le département de la Sangha constitue un corridor stratégique pour le commerce licite comme pour les trafics. Les forces de l’ordre y observent des modes opératoires importés des grandes métropoles régionales, notamment ceux des Kuluna nés dans les rues de Kinshasa. Armés de machettes ou de couteaux improvisés, ces groupes pratiquent l’extorsion éclair avant de se disperser dans le tissu urbain faiblement éclairé.
Cette dynamique transfrontalière complique la surveillance. Les réseaux de renseignements signalent des passages de jeunes délinquants par pirogue sur la rivière Sangha ou par la route nationale 2, profitant de l’enclavement relatif de certaines localités. En retour, les équipes de la Police aux frontières, renforcées depuis juillet, travaillent de concert avec la Gendarmerie pour tracer ces déplacements. L’enjeu dépasse la simple délinquance : il s’agit de préserver la crédibilité de l’État dans une zone charnière pour le commerce sous-régional.
Renforcement du dispositif Police-Gendarmerie
Conformément aux orientations du Conseil national de sécurité, le commandement départemental a déployé des patrouilles conjointes Police-Gendarmerie, appuyées par le Groupement mobile d’intervention. Des points de contrôle fixes ont été installés aux principales entrées de Ouesso ainsi qu’aux abords du port fluvial. Ce quadrillage, dont l’efficacité repose sur la surprise et la mobilité, a déjà permis l’interpellation de plusieurs suspects et la saisie d’armes blanches.
Les effectifs bénéficient d’une formation accélérée à la gestion de foule et à la négociation de crise, dispensée par le Centre d’instruction de la Gendarmerie à Impfondo. L’objectif est double : réduire la violence lors des interpellations et recueillir un renseignement exploitable sur la structuration des bandes. Parallèlement, un effort logistique notable a été engagé : dotation de moyens de transmission HF, remise en état du parc motocycliste et mutualisation du carburant grâce à un partenariat avec la Société nationale des pétroles du Congo.
L’implication citoyenne, pivot de la doctrine préventive
Au-delà de la réponse coercitive, le Préfet entend forger une alliance civique. Les comités de quartier, relancés fin septembre, tiennent désormais des permanences hebdomadaires en présence d’un référent de police. Ces séances facilitent la remontée d’informations sur les points de fixation de la délinquance : maisons abandonnées, bars clandestins ou zones d’ombre dans le réseau d’éclairage public.
Les leaders religieux et les associations de jeunesse participent à cette dynamique. Dans la cathédrale Saint-Pierre Claver, l’abbé Martin Otseni a rappelé dans son homélie dominicale que « la sécurité est l’affaire de tous ». L’école aussi est mobilisée : un module de sensibilisation aux dangers de la rue a été inclus dans le programme d’éducation civique du lycée Ngala-Charles. En responsabilisant les familles, les autorités espèrent tarir le vivier de recrutement des Kuluna et favoriser la réinsertion des repentis grâce aux chantiers communautaires encadrés par la Mairie.
Vers une approche renseignement-participatif
La Direction générale de la surveillance du territoire soutient l’initiative Sangha en expérimentant une plateforme numérique de signalement anonyme. Accessible depuis un téléphone basique par SMS sécurisé, l’outil permet de transmettre la localisation d’un groupement suspect ou le repérage d’indices d’une agression à venir. Les données sont agrégées puis croisées avec la cartographie des patrouilles pour optimiser les interventions.
Interrogé sur l’équilibre entre sécurité et libertés, le commissaire divisionnaire Arsène Mobounda se veut rassurant : « Nous privilégions un traitement crypté des numéros émetteurs afin de protéger l’identité des lanceurs d’alerte. » Cette démarche, alignée sur la doctrine nationale de protection des sources, vise à instaurer un climat de confiance durable sans lequel aucune stratégie de sûreté ne peut prospérer.
Sangha, laboratoire de la résilience territoriale
L’expérience en cours à Ouesso illustre la volonté du Congo-Brazzaville de privilégier des solutions territorialisées, souples et réactives. Le ministère de l’Intérieur suit de près les résultats des opérations, envisagées comme un pilote avant une éventuelle extension à d’autres centres urbains confrontés au phénomène Kuluna, de Pointe-Noire à Dolisie.
Sur le terrain, les premiers indicateurs sont encourageants : baisse de 18 % des vols avec violence signalés depuis août, hausse corrélative des dénonciations spontanées et création d’un fichier partagé des délinquants itinérants. Autant de signes d’une résilience qui se construit, jour après jour, dans la discrétion des commissariats et sous l’œil vigilant de citoyens désormais acteurs de leur propre sécurité. À l’heure où la sous-région affronte défis migratoires, trafics illicites et menaces asymétriques, la Sangha offre le visage d’un territoire déterminé à conjuguer autorité républicaine et intelligence collective.