Partenariat Sino-Congolais : moteur sécuritaire du Sud

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Le Sud global, un nouveau centre de gravité stratégique

La photographie macro-économique souvent rappelée par les diplomates ne dit pas tout : derrière les 40 % du PIB mondial et les 80 % de la croissance planétaire que représentent les pays émergents, se dessine un basculement des équilibres de puissance vers le Sud global. Pour les chancelleries, cette mutation n’est plus seulement économique ; elle se traduit aussi par une densification des échanges capacitaires en matière de défense, de sécurité intérieure et de gouvernance des biens communs stratégiques tels que les routes maritimes ou les réseaux numériques.

Dans ce concert, la République du Congo et la Chine, toutes deux « membres naturels du Sud global » selon l’ambassadrice An Qing, assument des responsabilités convergentes : stabiliser leurs environnements régionaux, soutenir la modernisation des forces et promouvoir un multilatéralisme équilibré. L’argumentaire chinois met en avant la communauté de destin et l’égal accès aux avantages de la mondialisation. Pour Brazzaville, la priorité demeure de traduire ces principes en capacités concrètes : surveillance côtière renforcée dans le golfe de Guinée, sécurisation des infrastructures énergétiques et montée en gamme de l’appareil industriel local.

Diplomatie de défense : de la rhétorique aux mécanismes opérationnels

Depuis l’élévation officielle des relations bilatérales au rang de « communauté d’avenir partagé de haut niveau », les ministères de la Défense des deux pays ont instauré un dialogue stratégique régulier. Celui-ci porte sur le partage de renseignement maritime, la lutte contre la piraterie et la formation des cadres congolais dans les académies chinoises. Des officiers de l’armée de Terre congolaise suivent déjà des cursus de commandement interarmées à Nanjing, tandis que l’École nationale supérieure polytechnique de Brazzaville accueille des ingénieurs chinois spécialisés en cybersécurité.

Ces échanges s’inscrivent dans la logique du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), coprésidé par le Congo lors de son dernier cycle. Pour Pékin, la rationalité est claire : sécuriser les voies logistiques qui approvisionnent son marché interne et offrir des vitrines à son industrie de défense. Pour Brazzaville, le bénéfice immédiat réside dans le transfert de compétences, l’accès à un financement compétitif et la diversification de ses partenaires au-delà des circuits traditionnels euro-atlantiques.

Industrie et transfert technologique : un effet d’entraînement local

Si la Chine demeure l’atelier du monde, elle se positionne désormais comme incubateur de chaînes de valeur en Afrique centrale. Les discussions engagées autour d’un éventuel centre de maintenance, réparation, & overhaul (MRO) pour hélicoptères de transport de type Z-8 et Mi-17 montrent la volonté de localiser la logistique lourde sur le sol congolais. Un tel hub, adossé au corridor fluvial et pétrolier, réduirait les délais d’immobilisation des appareils engagés dans la surveillance des oléoducs et la couverture des frontières septentrionales.

Parallèlement, la Société congolaise des industries mécaniques étudie avec Norinco la production sous licence de pièces détachées pour véhicules blindés légers, ainsi que l’assemblage de drones civilo-militaires à vocation ISR. L’objectif affiché par le ministère en charge des zones économiques spéciales est de faire émerger, d’ici cinq ans, un écosystème capable de fournir 30 % des besoins de maintenance des forces locales et de leurs voisins de la CEMAC.

Sécurité maritime : convergences dans le Golfe de Guinée

Avec plus de 90 % du commerce africain transitant par la mer, la sûreté des couloirs maritimes demeure la pierre angulaire du développement. Brazzaville a placé la lutte contre la piraterie au cœur de son Plan national de sécurité des espaces maritimes (PONASEM). Pékin, principal utilisateur d’hydrocarbures d’Afrique centrale, soutient cette stratégie via la fourniture de radars côtiers à semi-conception locale et l’organisation d’exercices conjoints de recherche-sauvetage.

L’escale, l’an dernier, du patrouilleur chinois Nanning à Pointe-Noire, suivie d’un entraînement avec la Marine nationale congolaise, a matérialisé cette coopération. Les équipages ont simulé une intervention contre un navire suspecté de pêche illicite, illustrant la dimension à la fois sécuritaire et économique du partenariat.

Cybersécurité et résilience : un champ d’expansion prioritaire

Au-delà des plates-formes navales ou des blindés, l’expertise chinoise en 5G sécurisée et en intelligence artificielle attire l’attention des autorités congolaises, soucieuses de protéger un réseau gouvernemental de plus en plus sollicité. La création d’un Centre d’alerte cybersécurité commun, intégrant le CERT national, doit réduire le temps moyen de détection des intrusions et renforcer la traçabilité des flux financiers contre la criminalité transfrontalière.

Le choix de partenaires extérieurs pour ces infrastructures sensibles demeure stratégique. Dans l’esprit du « véritable multilatéralisme » prôné par Pékin, Brazzaville veille à maintenir ses canaux traditionnels avec les organismes européens de normalisation, tout en capitalisant sur la réactivité chinoise en matière de déploiement. Le résultat attendu est une architecture de défense numérique robuste, conforme aux standards de l’Union africaine sur la protection des données.

Vers un multilatéralisme fonctionnel et équilibré

Les tensions commerciales actuelles, nourries par les hausses tarifaires et le risque de fragmentation des chaînes d’approvisionnement mondiales, ont un impact direct sur les capacités de défense : renchérissement des pièces de rechange, délais d’acheminement prolongés et volatilité des devises. Le Congo et la Chine, en plaidant pour la facilitation des échanges au sein de l’Organisation mondiale du commerce, défendent donc aussi le maintien d’une logistique militaire fluide.

La posture de Brazzaville consiste à consolider ses alliances sans céder aux surenchères géopolitiques. La diversification partenariale menée sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso matérialise une quête d’autonomie stratégique raisonnée : sécuriser les intérêts nationaux, tout en s’arrimant à la dynamique du Sud global pour peser dans les forums internationaux et attirer de nouveaux investissements dual-use.

Perspectives régionales et rôle d’entraînement

Les retombées de la coopération sino-congolaise dépassent le strict cadre bilatéral. Les accords en discussion pourraient servir de matrice à un mécanisme de mutualisation logistique au profit des États membres de la CEMAC, notamment dans les domaines de la télésurveillance fluviale et de la maintenance d’aéronefs. Un tel dispositif réduirait la dépendance envers les plateformes extra-continentales et renforcerait l’inter-opérabilité lors des opérations de paix onusiennes conduites par les contingents d’Afrique centrale.

À court terme, la priorité sera de consolider les acquis techniques ; à moyen terme, l’enjeu sera d’orienter la croissance industrielle vers l’exportation d’équipements à haute valeur ajoutée, soutenue par un cadre réglementaire harmonisé et la montée en compétence du tissu de PME locales.

Un partenariat qui renforce la résilience nationale

En définitive, la relation Sino-Congolaise illustre le potentiel du Sud global : transformer des convergences économiques en capacités de défense et de sécurité tangibles. Les avancées engrangées dans la surveillance maritime, la cybersécurité et la production MRO témoignent d’une coopération gagnant-gagnant, où chaque partie capitalise sur ses atouts pour répondre à ses vulnérabilités.

Dans un contexte international imprévisible, Brazzaville consolide ainsi sa souveraineté tout en demeurant fidèle à une diplomatie d’équilibre. La feuille de route commune, nourrie par le pragmatisme des forces armées et des industriels, s’impose déjà comme un modèle de partenariats Sud-Sud au service de la stabilité régionale.

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