Pool, carrefour stratégique à reconstruire

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Le Pool, verrou géostratégique du Congo

À moins de cent kilomètres de Brazzaville, le Département du Pool fait figure de pivot entre la capitale, la façade atlantique et les pays voisins de la CEMAC. Les chefs militaires le qualifient volontiers de « corridor vital », tant les plateaux qui l’enserrent conditionnent la profondeur stratégique de la République du Congo. Or les crises à répétition, de 1997 au cessez-le-feu de Kinkala en 2017, y ont fragilisé le tissu humain et désorganisé les réseaux d’infrastructures qui soutiennent la projection des forces terrestres comme le flux logistique civil.

La paix retrouvée ouvre aujourd’hui une fenêtre stratégique. Pour consolider ce point d’appui, l’État a inscrit le Pool parmi les priorités du Plan national de développement 2022-2026, articulant sécurité intérieure, génie militaire et relance économique. Il ne s’agit plus seulement de réparer, mais de refonder un espace résilient, capable d’amortir les chocs transfrontaliers – piraterie dans le Golfe de Guinée, trafics illicites ou mouvements armés circulant entre frontières.

Axes routiers et liberté de manœuvre des forces

Les voies Nganga-Lingolo–Linzolo, Kinkala-Boko ou encore la dorsale Kinkala-Ngambari-Mindouli ont longtemps servi d’artères à la 1ʳᵉ Région militaire pour ravitailler les détachements avancés et soutenir la gendarmerie. Leur dégradation – crevasses, végétation envahissante, ouvrages d’art endommagés – entrave désormais la mobilité des unités comme celle des commerçants. Chaque ralentissement logistique accroît le coût des opérations intérieures et pèse sur la crédibilité de l’État.

C’est dans cet esprit que le Haut-commandement a confié au Service du génie des armées la remise en état des bretelles critiques. Dès le premier trimestre 2024, des bulldozers aux couleurs des Forces armées congolaises ont sécurisé trois ponts provisoires sur la route de Loufoulakari, libérant les accès aux villages riverains. Parallèlement, le ministère de l’Entretien routier a planifié, pour le 8 août 2025, le démarrage des travaux Mindouli-Kindamba, appuyé par un financement mixte État-Union européenne. La manœuvre vise à restaurer une profondeur de 250 kilomètres continue, indispensable à la permanence opérationnelle et au redéploiement des services publics.

La démobilisation, un pilier de pacification durable

La Commission ad hoc mixte paritaire, créée en 2018, avait posé les jalons d’une sécurité collaborative entre forces conventionnelles et ex-combattants du mouvement Pasteur Ntoumi. Sa mise en sommeil a laissé planer le doute sur la pérennité du cessez-le-feu. Consciente de l’enjeu, la Présidence a relancé en avril dernier la Commission nationale de démobilisation et de réinsertion (CONADER), avec un mandat élargi aux volets psychosociaux et à l’encadrement citoyen.

Selon le général de brigade Alphonse Okouemba, conseiller Défense au ministère de l’Intérieur, « la clef se trouve dans l’alignement entre dignité des ex-combattants et sécurité collective ». Concrètement, 1 500 bénéficiaires suivront, dès septembre, des formations qualifiantes au sein du bataillon de génie de Mpila avant d’être orientés vers les chantiers de BTP, d’agro-foresterie ou de surveillance de la biodiversité. L’objectif est double : offrir une alternative économique et convertir d’anciens facteurs d’instabilité en relais de l’autorité de l’État.

Partenariats civilo-militaires pour la reconstruction

La doctrine congolaise de résilience territoriale repose sur une coopération étroite entre ministères régalien, collectivités locales et diaspora économique. Au Pool, ce triptyque prend corps à travers des sociétés de travaux publics fondées par des cadres expatriés, qui intègrent des sections de pionniers militaires pour des opérations de déboisement et de terrassement. Les forces reçoivent un entraînement au génie de combat applicable en opération extérieure tandis que les entrepreneurs bénéficient d’une sécurité contractuelle.

Dans la même logique, le Centre interarmées de formation au déminage de Kinkala héberge depuis juin un dispositif pilote de sensibilisation aux engins explosifs improvisés. Ouvert aux ONG et aux sociétés agricoles appelées à défricher de nouvelles terres, ce module part du principe qu’aucune reprise économique n’est envisageable sans environnement sûr. L’implication directe des forces dans un contexte non-belligène participe ainsi à la reconquête de la confiance civile.

Vers une économie de défense territoriale inclusive

Reste la dimension humaine. Les décennies de conflit ont érodé un capital scolaire naguère exemplaire ; la génération actuelle souffre d’analphabétisme et de manque d’état civil. Pour enrayer ce déficit, l’Armée de l’air a mis à disposition, chaque week-end, des instructeurs du Lycée militaire de Brazzaville pour assurer des cours de rattrapage à Kinkala. Parallèlement, l’Institut national de recherche en sciences exactes développe, avec la Garde républicaine, des modules numériques destinés à initier les jeunes du Pool au codage basique et à la cartographie satellitaire.

À moyen terme, ces initiatives visent à constituer un vivier d’ouvriers qualifiés et de techniciens dont les Forces armées pourront disposer lors de crises majeures, tout en dotant le secteur privé d’une main-d’œuvre locale compétente. L’ombre de la violence cède ainsi la place à une économie de défense territoriale, où chaque citoyen contribue à la sûreté collective, sous le regard bienveillant des autorités nationales.

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