Salaire versé, grève évitée : enjeux sécuritaires

6 Min de Lecture

Université Marien Ngouabi, vivier stratégique

Au-delà de son aura académique, l’Université Marien Ngouabi constitue l’un des piliers intellectuels de la République du Congo. Les spécialistes de la planification militaire rappellent souvent que la souveraineté scientifique conditionne la souveraineté opérationnelle : c’est dans les amphithéâtres de Brazzaville que sont formés ingénieurs, juristes et médecins destinés à renforcer, directement ou indirectement, les forces de défense. La menace de grève brandie au début d’octobre 2025 a donc immédiatement sonné comme une alerte stratégique, susceptible de fragiliser la chaîne de préparation des talents nationaux.

La réaction rapide de l’exécutif, conduite par le Premier ministre Anatole Collinet Makosso, s’inscrit dans cette grille de lecture. En promettant le paiement de deux mois de salaire – juillet et août 2025 – le gouvernement n’a pas seulement répondu à une revendication salariale ; il a sécurisé la continuité d’un appareil de formation dont dépendent, à moyen terme, la modernisation du matériel militaire, le déploiement de solutions cyber nationales et la capacité à conduire des opérations interarmées.

Dialogue social, baromètre de sécurité intérieure

Le Collège intersyndical, fédérant trois organisations représentatives, avait fixé un ultimatum clair : sans virement effectif le 7 octobre, le travail cesserait le 9, bloquant concours d’entrée et pré-inscriptions. Dans une capitale où convergent déjà les défis de la criminalité urbaine et de la piraterie fluviale, la moindre tension sociale est observée par les services de renseignement intérieur comme un indicateur avancé de risque. Un campus à l’arrêt peut devenir un catalyseur de contestation plus large, d’autant que la population estudiantine occupe une place sensible dans l’opinion publique.

En présidant personnellement la séance de négociation, le chef du gouvernement a envoyé un signal d’autorité apaisante. « La Nation ne peut se permettre un arrêt de la pensée lorsqu’elle se prépare à relever les défis sécuritaires du Golfe de Guinée », a-t-il déclaré, rappelant que l’équilibre social figure parmi les priorités définies dans la Stratégie nationale de sécurité intérieure 2024-2028.

Préparation des compétences au service de la défense

Les écoles et instituts intégrés à l’Université Marien Ngouabi irriguent directement la base industrielle et technologique de défense congolaise. La Faculté des sciences et techniques (FST) contribue, par ses filières en électronique et génie logiciel, au recrutement d’ingénieurs pour la Direction générale des systèmes d’information des Armées. L’Institut supérieur d’éducation physique forme quant à lui des cadres appelés à encadrer les sportifs de haut niveau au sein des bataillons d’intervention rapide.

Le professeur-colonel Henri Obambi, coordinateur du partenariat entre la FST et le Corps du Génie, souligne que « chaque semestre perdu retarde la mise en service de jeunes officiers capables de piloter la maintenance de ponts flottants ou de drones d’observation ». Dans un environnement régional marqué par l’intensification des trafics transfrontaliers, l’impact d’un mouvement social sur le calendrier académique dépasse donc la sphère universitaire pour toucher la posture tactique des forces congolaises.

Financement public et résilience nationale

Le litige qui opposait syndicats et tutelle reposait sur cinq mois de salaires et d’heures supplémentaires impayés depuis 2018. Face à cette ardoise, Brazzaville a privilégié une approche graduelle : décaissement immédiat du mois de juillet, engagement ferme sur celui d’août avant fin octobre, et dialogue ouvert pour les reliquats. Christian Yoka, ministre des Finances, l’a justifié en termes de résilience budgétaire : en garantissant au corps enseignant une visibilité minimale, l’État préserve la continuité de service tout en lissant ses flux de trésorerie.

Cette décision conforte également la réputation financière du Congo auprès de ses partenaires internationaux, notamment ceux qui appuient les programmes de coopération sécuritaire. Selon un analyste de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale, rencontré à Brazzaville, « un contentieux social long aurait pu compliquer la libération de lignes de crédit destinées à l’équipement des forces navales ». En honorant ses engagements envers ses enseignants, l’État démontre sa capacité à honorer ceux conclus avec les industriels de défense.

Gouvernance apaisée et vigilance syndicale

Le compromis arraché le 6 octobre n’éteint pas totalement le foyer revendicatif. Les représentants du Collège intersyndical, satisfaits du geste immédiat, maintiennent une clause de revoyure pour le mois de novembre. Cette vigilance est accueillie avec sérénité par l’exécutif, convaincu qu’un dialogue social franc constitue l’un des meilleurs anticorps contre la désinformation et les ingérences susceptibles de déstabiliser la scène intérieure.

En clôturant la réunion, le Premier ministre a résumé l’esprit de cette gouvernance apaisée : « Lorsque la salle de classe demeure ouverte, c’est aussi le champ de bataille de la pensée qui reste gardé ». À court terme, la tenue des concours d’entrée est assurée et la rentrée académique pourra s’échelonner en novembre comme prévu. À moyen terme, la pacification du climat social consolide la chaîne de valeur de la défense congolaise, depuis la formation jusqu’au soutien opérationnel.

Ainsi, l’épisode illustre la corrélation intime entre dialogue social et stabilité sécuritaire. En choisissant d’investir sans délai dans ses enseignants, le gouvernement congolais a rappelé qu’aucune stratégie de défense ne saurait prospérer sans un capital humain serein, compétent et engagé au service de la Nation.

Partager cet Article