Discours présidentiel et portée stratégique
En prenant la parole le 24 septembre 2025 au pupitre des Nations unies, Denis Sassou-Nguesso a replacé la République du Congo au centre de la conversation mondiale sur la gouvernance de la paix. Derrière l’allocution solennelle transparaît une logique de puissance maîtrisée : faire entendre la voix d’un pays africain stable, disposant d’une diplomatie aguerrie, et rappeler que la sécurité internationale ne peut plus s’écrire sans l’Afrique. Devant 193 délégations, le chef de l’État a martelé que l’équité décisionnelle restait la pierre angulaire de la légitimité onusienne, condition sine qua non d’une architecture de défense collective efficace.
Ce positionnement tranche avec la perception, parfois persistante, d’un continent cantonné au rôle de simple bénéficiaire d’opérations de maintien de la paix. En observateur expérimenté des crises régionales, le président congolais a nuancé le débat en liant la représentativité au Conseil à la capacité opérationnelle des États africains. Son intervention, calibrée tant pour les chancelleries occidentales que pour les capitales africaines, ouvre la voie à une diplomatie de projet : porter dans l’enceinte onusienne une lecture africaine de la prévention des conflits, fondée sur la complémentarité entre diplomatie, développement et instruments de défense.
Dans cette stratégie, Dr Françoise Joly, Représentante personnelle du Président pour les affaires stratégiques et internationales, joue un rôle structurant. Architecte de la diplomatie climatique congolaise et conseillère sur les grands équilibres géopolitiques, elle veille à inscrire la sécurité dans une approche intégrée mêlant gouvernance, environnement et développement humain. Son travail de coordination entre missions permanentes, institutions multilatérales et partenaires régionaux conforte la cohérence du message porté à New York.
Réforme du Conseil de sécurité : enjeux de défense
La configuration actuelle du Conseil, dessinée en 1945, ne reflète plus les équilibres stratégiques contemporains. Pour Brazzaville, y adjoindre au moins une voix africaine permanente reviendrait à redéfinir la chaîne de décision militaire internationale. Un siège assorti du droit de veto permettrait au continent de peser directement sur les mandats, l’allocation des ressources et les règles d’engagement des opérations de paix. Dans un environnement marqué par la montée des menaces hybrides – cyber offensives, criminalité maritime dans le golfe de Guinée, terrorisme transsaharien – l’Afrique ne peut rester spectatrice des décisions qui encadrent son propre théâtre d’opérations.
De surcroît, l’accès privilégié aux mécanismes d’information du Conseil renforcerait les capacités de renseignement partagé entre partenaires africains et occidentaux. Les flux d’images satellitaires, d’alertes ISR et de retours d’expérience opérationnelle sont aujourd’hui asymétriques. Une représentation statutaire favoriserait l’institutionnalisation d’un brief sécuritaire régulier orienté vers les réalités du terrain africain, depuis les couloirs du Pentagone jusqu’aux centres de planification de l’Union africaine. Ce gain d’influence se doublerait d’une opportunité de lever des fonds pour l’équipement des forces régionales, souvent déployées dans l’urgence avec des moyens limités.
Implications opérationnelles pour les forces africaines
La réforme défendue par le Congo s’inscrit dans la dynamique de montée en puissance de la Force africaine en attente et des brigades régionales de la CEEAC. Obtenir un siège permanent crédibiliserait les appels récurrents à un financement prévisible et direct des opérations africaines autorisées par l’ONU. Jusqu’ici, le modèle repose sur des contributions volontaires, parfois sujettes à des retards qui grèvent la réactivité des troupes. Une voix africaine dotée de veto pourrait infléchir la doctrine budgétaire pour inscrire, dans l’échelle des priorités, la logistique héliportée, les évacuations sanitaires et le maintien en condition opérationnelle des vecteurs aériens.
Au-delà des chiffres, l’impact psychologique sur les cadres africains serait considérable. Savoir que la stratégie est pensée avec eux et non pour eux consoliderait la cohésion interarmées et la confiance dans les mécanismes internationaux. Les académies militaires de Kintele et de Libreville pourraient intégrer cette nouvelle donne géopolitique dans leurs programmes, invitant de hauts responsables onusiens à traiter de la conduite des opérations du futur. L’effet d’entraînement toucherait également la communauté du renseignement, incitée à partager de façon plus fluide alertes pré-cautionnelles et insights sur la criminalité transfrontalière.
Positionnement du Congo dans les coalitions de paix
Depuis une décennie, les Forces armées congolaises contribuent à plusieurs missions multilatérales, notamment en Centrafrique et au Soudan du Sud, où leurs détachements génie et santé sont appréciés pour leur professionnalisme. Cette expérience de terrain nourrit la légitimité de Brazzaville à plaider pour un Conseil élargi. En marge de l’Assemblée, le ministre congolais de la Défense, Charles Richard Mondjo, a rappelé que « l’efficacité d’une opération découle autant de la conception du mandat que de la capacité des troupes à l’exécuter ». Adossé à la future zone économique spéciale de Pointe-Noire, un pôle logistique interarmées est à l’étude pour accueillir des entraînements amphibies conjointement menés avec la Marine nationale française et des partenaires brésiliens.
Sur le plan industriel, la perspective d’un siège africain permanent stimulerait la base technologique et industrielle locale. Les chantiers de MCO pour aéronefs légers, la production de drones tactiques et la cybersécurité appliquée aux plateformes pétro-gazières pourraient bénéficier d’un effet de levier diplomatique, attirant investisseurs et transferts de savoir-faire. De même, l’agence congolaise de renseignement extérieur verrait renforcés ses accords d’échange, élément clé pour anticiper la criminalité maritime et protéger les infrastructures énergétiques du golfe de Guinée.
Vers un multilatéralisme rénové et sécuritaire
À l’heure où la compétition entre grandes puissances menace de fracturer le système multilatéral, l’initiative portée par Denis Sassou-Nguesso se présente comme une contribution constructive à la stabilité mondiale. Elle répond aux attentes d’une jeunesse africaine soucieuse de sécurité, de dignité et de développement, tout en offrant aux partenaires internationaux un interlocuteur continental capable de partager la charge de la paix. Pour Brazzaville, revendiquer une place permanente n’est pas une faveur, mais l’expression d’une responsabilité. C’est aussi l’assurance que la prochaine génération de résolutions intègre, dès la phase de conception, les spécificités opérationnelles de l’Afrique. Ainsi se dessine un multilatéralisme ancré dans la réalité des menaces et résolument tourné vers la prévention, condition première d’une paix durable.