Une régression chiffrée qui interroge la résilience numérique
À Brazzaville, la présentation officielle des résultats de l’enquête annuelle de l’Agence de régulation des postes et des communications électroniques a agi comme un électrochoc. À peine 9,13 % des cartes SIM activées en 2025 sont correctement identifiées, contre 13,20 % l’année précédente. Dans un environnement régional où la traçabilité des communications demeure un pilier de la lutte contre le terrorisme, la piraterie et la criminalité organisée, cette tendance constitue, selon les mots de Benjamin Mouandza, directeur des Réseaux et services de communications électroniques, « une vulnérabilité systémique pour la sécurité de l’État ».
- Une régression chiffrée qui interroge la résilience numérique
- Cartographie des failles : Brazzaville et Pointe-Noire en première ligne
- Impacts opérationnels pour les forces de sécurité intérieure
- La riposte réglementaire : contrôle renforcé et moratoire de deux mois
- Vers une gouvernance intégrée de l’identification numérique
L’obligation d’identification, consacrée par le décret n°554 du 26 juillet 2010, poursuit deux objectifs stratégiques : garantir la fiabilité des interceptions judiciaires et protéger les infrastructures critiques contre des intrusions anonymes. Sa mise en œuvre incomplète rompt la chaîne de confiance numérique sur laquelle s’appuient aussi bien la Direction générale de la surveillance du territoire que les cellules de cyberdéfense des forces armées.
Cartographie des failles : Brazzaville et Pointe-Noire en première ligne
L’étude, conduite du 23 juillet au 28 août dans dix-huit localités, révèle des disparités marquées. Seules les villes de Kinkala et Djambala atteignent un taux de conformité de 100 %. À l’inverse, Brazzaville et Pointe-Noire, nœuds névralgiques des flux économiques et hubs télécom, concentrent les écarts les plus préoccupants. Sur les marchés informels de Makélékélé ou de Tié-Tié, la carte SIM préactivée se négocie sans pièce d’identité, parfois livrée avec un portefeuille de minutes prêtes à l’emploi. Ce mode opératoire facilite les communications clandestines et complique les investigations des unités spécialisées de la Police judiciaire.
Dans d’autres agglomérations, de Dolisie à Nkayi, le constat est identique : la chaîne de distribution délègue la responsabilité de l’identification à des points de vente sous-formalisés, où la vérification documentaire se résume souvent à la prise d’un pseudonyme. Pour Louis-Marc Sakala, directeur général de l’ARPCE, « le risque n’est pas seulement commercial ; il est sécuritaire, car une seule SIM anonyme peut suffire à coordonner une opération de sabotage d’oléoduc ou une fraude de grande ampleur ».
Impacts opérationnels pour les forces de sécurité intérieure
Le maillage télécom représente un outil de renseignement technique indispensable. Dans la lutte contre la piraterie dans le golfe de Guinée, la Gendarmerie maritime exploite l’analyse de données d’appel pour retracer les mouvements des logisticiens criminels depuis l’arrière-pays. Un répertoire d’abonnés mal maîtrisé rend ces corrélations plus complexes et allonge les délais d’attribution judiciaire, freinant ainsi la capacité d’intervention rapide.
De même, les groupements tactiques engagés dans les départements frontaliers bénéficient d’alertes SMS géolocalisées pour prévenir les villages en cas d’incursion. Une identification déficiente multiplie les faux positifs et érode la confiance des populations envers les autorités. À terme, le déficit de fiabilité risque d’entraver la posture de résilience numérique nationale, bâtie sur l’interopérabilité entre opérateurs, centre national de réponse aux incidents cyber et service central de renseignement des armées.
La riposte réglementaire : contrôle renforcé et moratoire de deux mois
Face à ce tableau, l’ARPCE a accordé un délai de soixante jours aux opérateurs pour régulariser leurs bases de données. Les audits consisteront à croiser, carte SIM par carte SIM, données d’identité, localisation du point de vente et empreinte biométrique lorsque disponible. Toute ligne irrégulière sera suspendue jusqu’à vérification manuelle. Les équipes de l’Inspection générale des télécommunications épauleront le régulateur dans des descentes inopinées, tandis que l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information consolidée pilotera la remontée des alertes.
Les opérateurs annoncent déjà des correctifs. MTN Congo teste, dans trois boutiques pilotes, un terminal d’enrôlement instantané couplé à un serveur dédié hébergé à Brazzaville, évitant l’externalisation des données. Airtel, de son côté, déploie un module de double authentification par reconnaissance faciale. Si ces initiatives se généralisent, elles renforceront l’autonomie technologique du pays et réduiront la dépendance aux centres de traitement étrangers.
Vers une gouvernance intégrée de l’identification numérique
Au-delà du correctif ponctuel, l’enjeu réside dans la création d’un écosystème de confiance fondé sur des synergies civilo-militaires. La Société nationale de télécommunications étudie déjà la possibilité d’intégrer le registre des abonnés à l’état civil numérisé, projet soutenu par le ministère de la Défense et de la Sécurité. Cette interconnexion fluidifierait les accès judiciaires et accélérerait les enquêtes transfrontalières conduites en coopération avec les États voisins membres de la CEMAC.
La sensibilisation du public demeure, enfin, un levier incontournable. Les campagnes radiophoniques lancées avec l’appui de la Haute autorité de la communication rappellent que l’anonymat est désormais synonyme de déconnexion. Cet argument, conjugué à une application rigoureuse des sanctions, devrait progressivement ramener le taux d’identification à des niveaux compatibles avec les exigences des forces de défense et de sécurité.
