Trafic d’ivoire à Dolisie : la riposte sécuritaire s’organise

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Délinquance faunique : un enjeu sécuritaire national

La protection des espèces intégralement protégées, à l’instar de l’éléphant de forêt, ne relève plus uniquement de la conservation. Elle constitue désormais un pan à part entière de la politique de sécurité intérieure du Congo-Brazzaville. Les réseaux criminels qui s’attaquent à la faune exploitent les mêmes routes, les mêmes filières et souvent les mêmes complicités que celles utilisées pour d’autres trafics illicites transfrontaliers. En portant atteinte au patrimoine naturel et aux recettes touristiques potentielles, ils fragilisent la résilience économique des territoires périphériques et alimentent une économie souterraine susceptible de financer d’autres menaces. Le Département du Niari, carrefour routier entre Pointe-Noire, le Gabon et la RDC, n’échappe pas à cette dynamique. À ce titre, toute saisie majeure d’ivoire devient un indicateur stratégique surveillé par les autorités de défense et de sécurité nationale.

Les deux interceptions réalisées le 4 octobre 2025 à Dolisie illustrent la transversalité du problème. En neutralisant quatre pointes d’ivoire représentant deux éléphants abattus, la Gendarmerie a non seulement mis un coup d’arrêt à une transaction illicite, mais aussi privé les réseaux de braconniers d’une source de liquidités estimée à plusieurs millions de francs CFA sur le marché noir asiatique.

Opération conjointe Gendarmerie-Économie forestière à Dolisie

L’arrestation des deux suspects, âgés de 21 et 29 ans, est le fruit d’une coordination étroite entre la brigade territoriale de la Gendarmerie nationale et la Direction départementale de l’Économie forestière, appuyées par l’expertise technique du Projet d’Appui à l’Application de la Loi sur la Faune Sauvage (P.A.L.F.). Concrètement, les renseignements initiaux ont été collectés par des officiers de police judiciaire spécialisés, informés d’une transaction imminente dans le quartier Tchiniambi. L’option retenue par le commandement consistait à réaliser une interpellation en flagrant délit, afin de consolider le dossier judiciaire et de désorganiser immédiatement la chaîne logistique.

À 15 h 20, un dispositif mixte en civil a intercepté les suspects alors qu’ils négociaient la livraison des quatre pointes d’ivoire, soigneusement dissimulées sous des sacs de manioc. L’opération s’est déroulée sans usage de la force létale. Dans son compte-rendu, le capitaine chargé de la manœuvre souligne que « la coopération inter-services a permis de réduire le temps de réaction et de sécuriser les preuves matérielles indispensables à la poursuite pénale ». Ce modus operandi préfigure la doctrine nationale visant à associer systématiquement forces de sécurité et services techniques compétents lorsqu’il s’agit de crimes environnementaux.

Chaînes criminelles transfrontalières : le renseignement en première ligne

Les premières auditions révèlent que la marchandise aurait été récupérée au village gabonais de Mabanda avant d’être convoyée vers Dolisie. Cette trajectoire confirme l’existence d’un corridor sud-nord utilisé par des courtiers ivoiriers opérant entre les deux pays. Pour le commandement de la zone de défense Sud, cette affaire valide la pertinence de renforcer le maillage de renseignement le long des axes frontaliers et des pistes secondaires. Des patrouilles mixtes, intégrant gendarmes, douaniers et éco-garde, sont déjà programmées pour le dernier trimestre 2025.

Sur le plan stratégique, la Direction générale de la documentation et de la surveillance du territoire (DGST) mène une veille analytique sur la convergence possible entre trafics fauniques et réseaux criminels impliqués dans la contrebande de carburant et de métaux précieux. Une note d’alerte interne estime que la diversification des activités illicites est une réponse à la pression accrue que les forces de sécurité exercent sur les voies maritimes du Golfe de Guinée. Dans cette perspective, la lutte anti-braconnage devient une composante de la sécurité nationale à part entière, car elle prévient le financement d’acteurs susceptibles de déstabiliser des zones frontalières sensibles.

Depuis la révision de la loi relative à la faune et aux aires protégées, promulguée en 2020, les peines encourues pour détention et commercialisation d’espèces intégralement protégées ont été significativement alourdies. Les deux prévenus risquent de deux à cinq ans d’emprisonnement ferme et jusqu’à cinq millions de francs CFA d’amende. Au-delà de la répression, le texte confère aux magistrats la possibilité d’ordonner la confiscation des moyens de transport, la suspension des licences commerciales et l’interdiction d’exercice professionnel pour les complices.

Selon un substitut du procureur près le Tribunal de grande instance de Dolisie, « le caractère exemplaire des décisions rendues dans ce type de dossier constitue un signal dissuasif, tant pour les braconniers que pour les financiers qui se cachent derrière eux ». En outre, la coopération judiciaire avec le Gabon s’appuie sur des accords bilatéraux qui autorisent l’extradition des commanditaires en cas de preuves convergentes. Cette dimension transfrontalière renforce la crédibilité de la chaîne pénale et réduit l’impunité.

Vers une doctrine intégrée de lutte anti-braconnage

Le ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation, en lien avec celui de l’Économie forestière, élabore actuellement un concept d’opérations intégrées destiné à harmoniser les actions anti-braconnage avec les missions classiques de maintien de l’ordre. L’idée est d’inscrire la protection des ressources fauniques dans le continuum sécurité-développement, conformément à la vision du président Denis Sassou Nguesso, qui rappelle régulièrement que la préservation du capital naturel concourt à la stabilité sociale et au rayonnement diplomatique du Congo.

Concrètement, la doctrine reposera sur trois piliers : la densification du réseau de postes de gendarmerie rurale, l’extension des capacités de renseignement technique (drones légers, capteurs acoustiques) et la formation conjointe des magistrats et des enquêteurs en crimes environnementaux. Le centre d’instruction de Dolisie devrait accueillir, dès 2026, un module régional CEMAC qui positionnera la ville comme pôle de compétence dans la lutte contre la criminalité faunique. À terme, cette approche intégrée contribuera à sécuriser les corridors économiques, à préserver la biodiversité et à renforcer l’image du Congo en tant qu’acteur responsable sur la scène internationale.

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