Alerte maritime : Pointe-Noire renforce ses ports

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Gouvernance portuaire et souveraineté maritime

La tenue, à Pointe-Noire, de la 20e Table ronde des directeurs généraux membres de l’Association de Gestion des Ports de l’Afrique de l’Ouest et du Centre acte une prise de conscience stratégique : à l’heure où le Golfe de Guinée concentre 30 % du trafic maritime du continent, la gouvernance portuaire devient un paramètre de souveraineté. « La sécurité des flux est indissociable de la sécurité des États », a rappelé M. Arthur Borogui-Kuma, appelé à présider les travaux. Pour la République du Congo, dont la façade atlantique constitue le pivot des exportations d’hydrocarbures, renforcer les standards de gestion portuaire revient ainsi à consolider une dissuasion économique autant que navale.

Pointe-Noire, pivot stratégique du Golfe de Guinée

Classé en eau profonde et doté d’un chenal naturel de plus de quinze mètres, le port de Pointe-Noire sert de point d’appui logistique aux opérations de la Marine congolaise et aux patrouilles conjointes menées avec les marines voisines. Depuis 2021, la base navale adjacente accueille régulièrement les exercices NEMO placés sous l’égide de la Zone maritime interrégionale D, offrant aux équipages une familiarisation pratique avec la lutte contre la piraterie, la pêche illicite et le trafic de stupéfiants. Les conclusions de la Table ronde réaffirment la vocation duale du site : soutenir la croissance des échanges civils tout en garantissant la profondeur opérationnelle des forces de sécurité intérieure.

Pressions démographiques et résilience logistique

Les intervenants ont rappelé que la population des États côtiers d’Afrique centrale devrait franchir le seuil des 200 millions d’habitants d’ici à 2035, induisant une massification sans précédent des flux conteneurisés. Or, la saturation d’un quai ou l’interruption d’une route de délestage se répercutent immédiatement sur la capacité des armées à soutenir un déploiement terrestre ou à maintenir la cadence des opérations de maintien de la paix. C’est pourquoi les directeurs généraux se sont engagés à conjuguer agrandissement des terminaux, modernisation des réseaux ferroviaires intérieurs et renforcement des stocks stratégiques de carburant, à même d’offrir vingt et un jours d’autonomie aux forces, même en cas de crise régionale.

Innovation technologique et sûreté des terminaux

Sous l’angle capacitaire, la rencontre a mis en avant les technologies permettant d’augmenter le niveau de vigilance sans grever les finances publiques. L’installation de radars de surface à ouverture constante, la mise en réseau de caméras à reconnaissance faciale et l’usage de drones de surveillance de façade figurent parmi les priorités arrêtées. Le directeur du Port autonome de Pointe-Noire a confirmé la signature prochaine d’un protocole industriel pour le déploiement d’une plate-forme cyber-physique pilotée par le Centre national de protection des infrastructures critiques. L’objectif est double : prévenir les intrusions physiques et bloquer les attaques ransomware visant les systèmes de gestion logistique, devenues monnaie courante sur les littoraux très connectés.

Partenariats militaires-civils à l’épreuve des crises

La pandémie de Covid-19 a démontré la valeur d’une gouvernance intégrée réunissant autorité portuaire, gendarmerie maritime, douanes et armateurs privés. Cette synergie, désormais inscrite dans la doctrine nationale, est appelée à se renforcer grâce à la création annoncée d’un Centre conjoint de planification civilo-militaire. Selon le capitaine de vaisseau Pierre-Claver Makosso, conseiller maritime à la Primature, « l’anticipation demeure notre meilleur atout ; la communauté portuaire doit pouvoir basculer en posture de crise en moins de six heures, qu’il s’agisse d’un acte terroriste, d’un chavirement de navire ou d’une fuite de produit chimique ».

Vers un cadre juridique favorisant la sécurité intégrée

Au-delà des dispositifs matériels, les directeurs généraux ont insisté sur la nécessité d’une harmonisation réglementaire facilitant l’échange de données sensibles entre États membres de l’Agpaoc. Le projet de Code maritime africain, actuellement en relecture à la Commission de l’Union africaine, prévoit d’adosser la sûreté portuaire au concept de « service essentiel », ouvrant ainsi la voie à des financements conjoints défense-sécurité-infrastructures. Pour le Congo-Brazzaville, déjà doté d’une loi de programmation militaire incorporant un volet cybersécurité portuaire, l’enjeu consiste à maintenir un temps d’avance normative, gage de crédibilité auprès des investisseurs institutionnels.

Diplomatie portuaire et rayonnement régional

La Table ronde s’inscrit dans le prolongement du 45e conseil de l’Agpaoc et illustre l’influence croissante de la diplomatie portuaire congolaise. L’accueil régulier d’événements internationaux permet non seulement de valoriser les savoir-faire locaux en matière de dragage, d’expertise bathymétrique et de récupération d’hydrocarbures, mais aussi de positionner Pointe-Noire comme plateforme de transit pour les contingents déployés en Centrafrique ou dans l’est de la RDC. Les sessions bilatérales menées avec les bailleurs ont abouti à l’annonce d’une facilité de 120 millions d’euros dédiée à la sécurisation des accès routiers et ferroviaires, preuve qu’une gouvernance modernisée attire des capitaux essentiels à la stabilité régionale.

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