Bébés noirs : riposte sécuritaire et défis juridiques

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Une criminalité juvénile devenue menace stratégique

Des marges nord de Talangaï aux ruelles populeuses de Makélékélé, la République du Congo affronte depuis plusieurs années une forme inédite de violence urbaine : les groupes de jeunes baptisés « bébés noirs » ou « kulunas ». Mêlant rapines nocturnes, racket de jour et démonstrations d’armes blanches, ces bandes se sont progressivement sophistiquées, au point de perturber la fluidité économique de quartiers entiers et d’entraver la libre circulation des personnels étatiques. Dans certains secteurs, les enlèvements éclairs contre rançon ont même ciblé des fonctionnaires en tenue, signal d’une volonté de défier l’autorité publique.

Architecture de l’opération nationale de la DGSP

Alertée par une recrudescence d’atteintes graves contre les personnes, la Direction générale de la sécurité publique a lancé, sur instruction directe du président Denis Sassou Nguesso, une action d’envergure qui fédère désormais la Police nationale, la Gendarmerie et des unités spécialisées de la protection civile. Ce dispositif concentre trois volets complémentaires. D’abord, un maillage territorial par compagnies mobiles, capables d’investir simultanément plusieurs zones sensibles afin de saturer l’espace criminogène. Ensuite, un pilonnage renseignement : grâce aux cellules mixtes DGSP-DGR, l’agrégation de signalements citoyens, de données téléphoniques et d’imagerie aérienne permet de cartographier les nœuds logistiques des groupes. Enfin, un volet appui-mobilité, illustré par la mise en place de ponts aériens héliportés entre les chefs-lieux de département et Brazzaville, raccourcissant considérablement la chaîne d’extraction des suspects.

Effets tactiques et perception sociétale

Les résultats rapides du dispositif ont résonné dans l’opinion publique. En moins de deux mois, les services confirment une contraction de 40 % des violences signalées la nuit dans la capitale, et l’on ne compte plus les messages de félicitations adressés aux forces par les associations de riverains. Dans les marchés de la corniche, les commerçantes affirment pouvoir rallonger d’une heure leurs horaires d’exploitation sans craindre les attaques au coupe-coupe. Si certains professionnels du droit s’inquiètent d’arrestations expéditives, le sentiment dominant reste celui d’un soulagement collectif, résultat d’une reprise de l’initiative par l’État. « Nous devons protéger d’abord les victimes potentielles avant de peaufiner le reste », justifie un officier de la DGSP rencontré sous couvert d’anonymat.

Consciente de la nécessité de conjuguer fermeté et règle de droit, la Chancellerie prépare un projet de loi relatif aux mesures exceptionnelles de lutte contre les bandes criminelles structurées. Le texte, actuellement soumis à la Commission Défense de l’Assemblée, instaure la judiciarisation quasi instantanée des interpellations, sous contrôle du parquet, et ouvre la voie à des brigades de proximité chargées de répertorier l’habitat illégal sans porter atteinte au droit de propriété. Dans l’esprit des rédacteurs, il s’agit de transformer une opération de police en doctrine durable de sécurité intérieure, tout en blindant l’action publique contre d’éventuels contentieux internationaux.

Prévention et réinsertion : le second front

Si la force neutralise l’immédiateté de la menace, les autorités insistent sur la complémentarité d’une réponse sociale. Le ministère de la Jeunesse relance le programme d’accompagnement d’Aubeville, avec un financement rééchelonné et l’appui technique de la Mission onusienne pour l’éducation à la paix. Centres de formation accélérée, ateliers d’artisanat sponsorisés par les zones économiques spéciales et stages citoyens au sein des forces armées constitueront le triptyque de réinsertion. Le général de brigade Jean-François Oko Ngakala rappelle que « chaque couteau retiré de la rue doit être remplacé par un outil productif ».

Coopération régionale et partage de renseignement

La criminalité transfrontalière alimentant les bandes congolaises s’enracine dans la porosité des flux entre Kinshasa, Pointe-Noire et la zone minière du Mayombe. Pour tarir ces réseaux, Brazzaville propose, dans le cadre CEMAC et en liaison avec la RDC, la mise en service d’un portail commun de fiches de recherche biométriques. De même, l’École de gendarmerie d’Owando accueillera dès le prochain trimestre des stagiaires gabonais et centrafricains pour un module baptisé « Lutte anti-gangs en milieu urbain ». Ce vecteur d’interopérabilité permettra d’unifier protocoles d’observation, techniques d’interpellation et procédures probatoires, afin que l’effet dissuasif dépasse les frontières.

Vers une sécurité durable et inclusive

La neutralisation des bébés noirs et kulunas illustre la capacité des forces congolaises à monter en puissance dans un délai restreint, dès lors que l’axe commandement-renseignement-manœuvre fonctionne sans friction. Pour pérenniser ces acquis, trois leviers se dessinent : modernisation des moyens de police scientifique, harmonisation des cadres juridiques d’exception et consolidation des passerelles civilo-militaires dédiées à la jeunesse vulnérable. À terme, c’est la cohésion nationale elle-même qui se trouve renforcée, car aucun projet de développement ne peut prospérer sous la menace des machettes nocturnes. La sécurité n’est donc pas une fin en soi, mais le socle d’un horizon partagé que le Congo-Brazzaville entend bâtir, en confiance, avec l’ensemble de ses partenaires régionaux et internationaux.

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