Les AET, creuset d’élite pour la défense nationale
Le 6 novembre, la cour d’honneur du Cercle militaire de Brazzaville a résonné d’un silence grave, à peine troublé par les accents du cor d’honneur, lorsque l’Association des Anciens Enfants de Troupe du Congo, conduite par son président Rémy Ayayos Ikounga, a rendu un ultime hommage au capitaine de vaisseau à la retraite Lucien Litingui. Pour de nombreux diplomates et officiers présents, la cérémonie ne se résumait pas à des gestes protocolaires ; elle traduisait la force d’un réseau méritocratique, né dans les allées de l’École militaire préparatoire général Leclerc (EMPGL) et devenu, au fil des décennies, un pilier discret de la cohésion stratégique nationale.
L’oraison funèbre prononcée par le lieutenant-colonel Landry Nganga a rappelé que les Enfants de Troupe représentent davantage qu’une fraternité d’armes : ils forment un vivier de cadres capables de porter haut la doctrine de défense du Congo-Brazzaville. Les parcours de ces officiers, issus parfois des localités les plus reculées comme Enyellé, s’entrelacent avec l’histoire institutionnelle du pays, de la consolidation des forces terrestres jusqu’au renforcement actuel de la dimension maritime. En honorant l’un des leurs, les AET ont souligné que le capital humain demeure l’armature invisible de toute politique de puissance.
Un parcours d’excellence au sein de la Marine congolaise
Né le 28 novembre 1951 à Enyellé, district de Dongou, Lucien Litingui franchit le portail de l’EMPGL le 1ᵉʳ octobre 1965 avec le matricule 758. La rigueur de l’instruction académique et l’exigence sportive forgent déjà chez l’adolescent la ténacité qui caractérise les navigateurs de haut vol. Il obtient son baccalauréat militaire puis opte, le 1ᵉʳ août 1972, pour un engagement volontaire dans l’unité marine, au rang de combattant de 2ᵉ classe. À peine quatre ans plus tard, il est promu enseigne de vaisseau de 2ᵉ classe, avant d’accéder en 1978 au grade d’enseigne de 1ʳᵉ classe, prélude logique à son statut de lieutenant de vaisseau en 1982.
La suite de sa trajectoire épouse l’ambition navale du Congo des années 1980 et 1990. Nommé capitaine de corvette en 1987, capitaine de frégate en 1991 puis capitaine de vaisseau en 1993, Litingui incarne une génération qui, tout en s’inspirant des traditions françaises, s’ouvre à d’autres influences pour bâtir une flotte apte à protéger aussi bien les gisements pétroliers offshore que les voies de communication fluviales. Son passage comme chef d’état-major de la base navale 01 de Pointe-Noire, de juillet 1991 à septembre 1994, correspond aux premières initiatives visant à densifier la surveillance côtière face à la hausse de la piraterie et de la pêche illicite.
Formations soviétiques et ouverture stratégique
Peu de carrières résument aussi bien la diplomatie militaire multiaxiale du Congo que celle de Lucien Litingui. Dès 1975, les autorités de Brazzaville l’envoient à l’École supérieure de la Caspienne, à Bakou, alors en URSS. Cette immersion dans un environnement naval océanique, très différent du bassin fluvial du Congo, élargit son horizon technique : manœuvre de navires rapides, navigation astronomique et maintenance de turbines à gaz deviennent son quotidien.
Trois ans plus tard, l’officier retrouve la mer Baltique, cette fois à l’Académie navale de Leningrad. « Nous apprenions à penser en termes de systèmes », confia-t-il un jour à un jeune aspirant, évoquant les exercices de cartographie tactique et de défense antimissile auxquels il participa. Ses années soviétiques, conclues en 1986, dotent la Marine congolaise d’un spécialiste maîtrisant aussi bien les doctrines occidentales que les standards orientaux, atout précieux pour un pays qui équilibre aujourd’hui ses partenariats entre Paris, Moscou, Pékin et Ankara dans le domaine naval.
Capitaine de vaisseau sur fond de modernisation navale
À son retour, Litingui prend la barre de patrouilleurs côtiers dont il optimise les chaînes logistiques, sensibilisant les équipages aux procédures de contrôle de zone maritime. Son état-major à Pointe-Noire inaugure une méthode de planification combinant renseignement côtier, police maritime et coopération inter-agences, bien avant que ces pratiques ne figurent dans les textes de l’Organisation maritime de l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Les historiens verront sans doute dans la dernière décennie de service du capitaine de vaisseau, close par sa retraite le 31 décembre 2006, l’amorce de la modernisation actuellement conduite par le haut-commandement de la Marine. Les corvettes livrées en 2015, les patrouilleurs hauturiers inaugurés en 2020 ou encore l’exercice multinational Ndzassi 2023 s’appuient sur les schémas logistiques et les manuels de conduite des opérations littorales conçus par des officiers de la trempe de Lucien Litingui.
Un legs pour la sûreté du Golfe de Guinée
Aujourd’hui, la piraterie dans le Golfe de Guinée se fait plus asymétrique, la pêche illicite plus furtive et la criminalité environnementale plus rentable. Le souvenir de Lucien Litingui sert de boussole aux jeunes cadres qui planchent sur la future loi de programmation militaire navale. Son expérience des coopérations Est-Ouest nourrit la vision d’une école interrégionale de guerre maritime à Pointe-Noire, projet soutenu par plusieurs capitales de la CEMAC et qui permettrait de mutualiser les patrouilles, le renseignement et la logistique entre Douala, Libreville et Malabo.
Au terme de la cérémonie, Rémy Ayayos Ikounga a lancé un appel sobre : « Gardons vivante la mémoire de ceux qui ont donné un sens à l’uniforme ». Derrière la formule, les diplomates présents ont décelé une stratégie plus large : cultiver l’héritage pour forger l’avenir. En honorant Lucien Litingui, le Congo rappelle que la sécurité maritime se gagne d’abord dans la tête des hommes, longtemps avant de se jouer sur la crête des vagues.
