Farid Ghezali: la carte secrète du pétrole africain

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Brazzaville consacre un tournant énergétique continental

Le Conseil ministériel de l’Organisation des producteurs de pétrole africains s’est réuni cette semaine à Brazzaville, capitale dont les berges fluviales ont souvent servi de décor aux décisions d’envergure continentale. À l’issue des travaux, les délégations ont porté l’Algérien Farid Ghezali au poste de Secrétaire général, à compter de janvier 2026. S’il s’agit d’une transition administrative, les chancelleries y voient un signal stratégique : l’Afrique entend consolider sa sécurité énergétique dans un contexte de tensions géopolitiques mondiales. Le ministre congolais des Hydrocarbures, Bruno Jean-Richard Itoua, a salué une « élection de consensus qui renforce la crédibilité de Brazzaville comme plateforme de dialogues sur la souveraineté des ressources ». En coulisse, les attachés de défense notent également que l’essor pétrolier nourrit directement les politiques de défense, notamment en matière d’équipements navals destinés à la protection du Golfe de Guinée.

Diplomatie pétrolière et sécurité intérieure, deux faces d’une même pièce

L’arrivée de Farid Ghezali intervient alors que les découvertes d’hydrocarbures en Namibie et en Côte d’Ivoire, alliées à la relance de campagnes sismiques au Nigeria et en Angola, projettent la production africaine vers 13,6 millions de barils équivalent pétrole par jour à l’horizon 2030. Cette montée en puissance technique doit néanmoins s’appuyer sur un environnement sécuritaire robuste. Les ministères de l’Intérieur des États membres, dont celui du Congo, insistent désormais sur la nécessaire articulation entre diplomatie pétrolière et dispositifs de sûreté intérieure. « La protection des terminaux et des corridors logistiques devient une priorité quasi militaire », résume un officier supérieur congolais, rappelant que la moindre perturbation dans la chaîne d’approvisionnement pourrait compromettre à la fois les recettes budgétaires et la stabilité sociale.

Forces armées et infrastructures critiques : un défi partagé

La sécurisation des ports pétroliers, des oléoducs transfrontaliers et des unités flottantes de production mobilise un large spectre de moyens. Dans le Golfe de Guinée, la Marine congolaise intensifie ses patrouilles conjointes avec les marines camerounaise et gabonaise afin de dissuader les groupuscules de piraterie qui ciblent les pétroliers au mouillage. Sur terre, les gendarmes affectés au Groupement de sécurité des installations pétrolières renforcent leur entraînement à Pointe-Noire avec l’appui de la coopération française. L’état-major congolais considère que ces exercices interarmées, centrés sur la protection d’infrastructures critiques, constituent un multiplicateur de forces face aux risques asymétriques. La perspective d’une hausse de production régionale accroît les surfaces de vulnérabilité, rendant indispensable une coordination entre services de renseignement, sociétés de sécurité privée et forces régulières.

La Banque Énergétique Africaine, levier financier et souverain

Parallèlement, l’APPO pilote la mise en place de la Banque Énergétique Africaine, dotée de cinq milliards de dollars en partenariat avec l’Afreximbank. Dans la vision de Farid Ghezali, cette institution doit non seulement pallier le désengagement progressif des investisseurs occidentaux mais également favoriser des schémas de financement respectant les exigences de souveraineté des États. Pour Brazzaville, qui abrite déjà le siège de l’APPO, accueillir un bureau régional de la nouvelle banque constituerait un atout stratégique. Les responsables congolais de la Défense y voient l’opportunité de structurer des contrats d’acquisition duale – civils et militaires – permettant, par exemple, la construction de barges logistiques utilisables à la fois pour l’avitaillement pétrolier et le soutien aux unités fluviales.

Intégration CEMAC : le Congo moteur d’une approche collective

Au sein de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale, le Congo plaide pour une harmonisation des cadres réglementaires et sécuritaires entourant l’exploitation pétrolière. Brazzaville défend l’idée qu’une réponse collective aux menaces, du terrorisme littoral à la criminalité environnementale, accroît la résilience des États. Les réunions régulières des chefs d’état-major de la CEMAC, couplées aux cellules de fusion du renseignement maritime, traduisent cette ambition régionale. « La stabilité de la rente pétrolière demeure la meilleure assurance-vie de nos programmes de modernisation des forces », confie un diplomate équato-guinéen, soulignant que l’effort de défense reste étroitement corrélé aux cours du brut. Dans ce cadre, l’APPO fait figure de forum technique capable d’aligner standards opérationnels et plaidoyer financier.

Cap sur 2030 : convergence énergétique et défense de souveraineté

Les projections à long terme indiquent que l’Afrique pourrait concentrer 10 % des nouvelles découvertes mondiales d’ici à 2030. À mesure que les puits s’ancrent au large dans des profondeurs extrêmes, la dimension technico-militaire de leur protection s’intensifie. L’usage de drones maritimes, de systèmes de surveillance satellitaire et de cyber-défense intégrée figure déjà dans les plans du ministère congolais de la Sécurité. Farid Ghezali, conscient de ces enjeux, a affirmé à Brazzaville vouloir « faire de l’APPO un partenaire naturel des agences africaines de sécurité maritime et énergétique ». La convergence entre politique pétrolière et souveraineté défensive ouvre ainsi un cycle où le baril n’est plus seulement une unité de mesure économique, mais un élément de puissance. Pour le Congo-Brazzaville, l’heure est venue de capitaliser sur cette dynamique afin de consolider son rôle pivot, au service d’une stabilité régionale inscrite dans la durée.

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