Axe sécuritaire Accra-Monrovia scellé par Sassou

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Dialogue bilatéral centré sur la défense régionale

Dans les salons feutrés du palais présidentiel ivoirien, Denis Sassou Nguesso et son homologue libérien Joseph Boakai ont troqué les formules protocollaires pour un échange substantiel sur les vulnérabilités auxquelles l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest demeurent exposées. Le président congolais a rappelé que « la crédibilité de nos discours sur l’intégration se mesurera désormais à la solidité des cadres de sécurité que nous sommes capables de bâtir ». Cette déclaration, appuyée par M. Boakai, a orienté la conversation vers la mise en place d’un mécanisme conjoint associant diplomates, militaires et experts du renseignement. L’objectif annoncé consiste à passer d’accords généraux à un plan opérationnel articulé autour de la surveillance des frontières, de la lutte contre les groupes armés transnationaux et du partage en temps réel d’informations stratégiques.

Les deux chefs d’État ont ainsi convenu de convoquer, avant la fin du semestre, une réunion interministérielle qui réunira Affaires étrangères, Défense, Intérieur et Finances des deux pays. Cette instance sera chargée d’élaborer une feuille de route portant sur la modernisation de leurs centres d’alerte précoce, l’interopérabilité de leurs forces spéciales et l’harmonisation des procédures de soutien logistique. Bras financier de cette dynamique, la Banque africaine de l’énergie, en gestation entre Brazzaville et Accra, pourrait offrir un levier de financement inédit aux programmes capacitaires des États côtiers, notamment pour l’acquisition de vedettes rapides, de radars côtiers et de moyens ISR à bas coût.

Sécurité maritime : un enjeu partagé de Pointe-Noire à Monrovia

Alors que le golfe de Guinée concentre toujours près de 95 % des actes de piraterie recensés sur le continent, la rencontre de haut niveau a donné un relief particulier à la sûreté des routes maritimes. Brazzaville met en avant l’expérience acquise avec le Centre interrégional de coordination de Yaoundé, tandis que Monrovia, siège historique de l’Organisation maritime internationale en Afrique de l’Ouest, dispose d’expertises juridiques reconnues. Les deux capitales entendent fusionner ces atouts pour renforcer la police des pêches, fiabiliser l’identification automatique des navires et mutualiser des équipes de fusiliers marins. Dans cette perspective, un détachement mixte d’instructeurs congolais pourrait être projeté au Liberia dès l’an prochain afin de former les garde-côtes locaux aux techniques d’embarquement et aux inspections à chaud, créant ainsi une première capacité multinationale de réaction rapide dans la zone centre-ouest africaine.

Renseignement et contre-terrorisme au cœur de l’agenda commun

Si la menace jihadiste reste plus diffuse dans le bassin du Congo que dans le Sahel, les services congolais et libériens observent avec circonspection l’infiltration progressive de réseaux criminels mobilisant les flux clandestins d’or et d’hydrocarbures. Afin d’endiguer cet effet de tache d’huile, l’accord politique évoqué à Abidjan prévoit l’installation d’un groupe de travail permanent entre les directions générales de la documentation et de la sécurité de chaque pays. Ce dialogue technique, inspiré du modèle sahélien de fusion des sources humaines (HUMINT) et des interceptions téléphoniques, sera adossé à un programme conjoint de formation d’analystes qui devrait bénéficier de l’appui académique de l’École supérieure de guerre du Ghana. À terme, les partenaires ambitionnent de déployer des équipes conjointes sur les corridors Pointe-Noire-Ouésso-Buchanan, afin d’interrompre les routes logistiques favorisant l’implantation d’acteurs armés non étatiques.

L’expertise ghanéenne, catalyseur de la coopération militaire

Reçu en marge des travaux par Denis Sassou Nguesso, l’ancien président ghanéen Nana Akufo-Addo a joué les facilitateurs silencieux. Fort de la tradition de formation anglo-saxonne de l’armée ghanéenne, il a plaidé pour que la Kofi Annan International Peacekeeping Training Centre ouvre un nouveau module francophone dédié aux officiers congolais et libériens. L’idée a immédiatement retenu l’attention de Brazzaville, en quête de cursus certifiants pour professionnaliser sa chaîne planification-conduite des opérations et valoriser ses contributions aux missions de l’Union africaine. Un premier contingent d’une cinquantaine d’élèves officiers d’active pourrait ainsi rejoindre Accra dès la rentrée prochaine. Cette passerelle académique compléterait le dispositif d’échanges de cadres déjà instauré entre les académies de gendarmerie, consolidant un triangle sécuritaire qui épouse les contours de l’axe économique envisagé par la Banque africaine de l’énergie.

Une diplomatie de défense Sud-Sud assumée

Au-delà des protocoles signés, la séquence abidjanaise confirme le positionnement du Congo comme pivot d’une diplomatie de défense résolument tournée vers le Sud-Sud. En ouvrant simultanément des canaux militaires avec le Liberia et en réactivant la fibre historique qui le lie au Ghana, Brazzaville démontre qu’elle sait conjuguer loyauté aux principes multilatéraux et agilité stratégique. Dans un contexte international marqué par la fragmentation des dispositifs d’assistance sécuritaire, cette capacité d’initiative offre à la sous-région un espace de négociation autonome, apte à attirer des partenariats structurants sans hypothéquer la souveraineté nationale. Selon un haut responsable congolais présent à Abidjan, « les coopérations émergentes que nous dessinons parlent moins de dépendance que de codécision ». Les prochaines semaines diront combien cette ambition partagée saura se traduire en patrouilles coordonnées, en échanges de renseignement et, surtout, en résultats tangibles pour la stabilité de l’Afrique atlantique.

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