Bébés noirs: l’offensive sécuritaire expliquée

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Un banditisme juvénile devenu enjeu stratégique

Les quartiers périphériques de Brazzaville et de Pointe-Noire sont confrontés, depuis la fin de la pandémie, à une recrudescence d’agressions attribuées aux groupes de jeunes dénommés « bébés noirs ». Souvent issus de milieux défavorisés, ces gangs pratiquent des violences éclair qui désorganisent la vie économique et nourrissent un sentiment d’insécurité. Pour les autorités, la menace n’est plus seulement sociale ; elle s’inscrit désormais dans le registre de la sécurité nationale, car elle sape la confiance collective et entrave les ambitions du Congo de devenir un hub logistique du Golfe de Guinée.

Activation d’un corps d’élite: doctrine et moyens

Le président Denis Sassou Nguesso, après consultation du Haut Conseil de défense et des états-majors, a validé en septembre la mise à contribution du Groupement d’intervention spécialisé (GIS). Cette unité, composée de policiers, gendarmes et militaires formés à l’antiterrorisme, bénéficie d’équipements légers à haute mobilité et d’un appui ISR fourni par le Bataillon d’appui opérationnel. Ses missions: renseignement de proximité, interpellations ciblées et dissuasion dans les zones à forte densité. « Nos équipes opèrent avec des caméras piétons pour tracer les interventions », explique un officier du GIS sous couvert d’anonymat, soulignant la volonté de conjuguer efficacité tactique et transparence.

La société civile en veille, un contrepoids utile

Dans un rapport de plus de 200 pages, le Centre d’Actions pour le Développement (CAD) constate une hausse des cas présumés d’atteintes aux libertés publiques. Son directeur exécutif, Trésor Nzila, appelle à un encadrement plus strict des opérations: « Aucune stratégie sécuritaire ne doit éclipser la dignité humaine. » Les autorités, tout en ne réagissant pas directement au document, laissent entendre qu’elles restent ouvertes au dialogue. Des réunions de coordination entre le ministère de l’Intérieur, la Commission nationale des droits de l’homme et plusieurs ONG sont envisagées pour harmoniser procédures d’arrestation, accès aux avocats et suivi médical des personnes interpellées.

Le Congo dispose déjà d’un arsenal normatif, notamment le Code de procédure pénale révisé et la loi portant organisation des forces de police. Afin d’éviter tout dérapage, un projet de décret élargissant les pouvoirs de l’Inspection générale des forces de sécurité intérieure a été soumis au Parlement. L’École nationale supérieure de police a, de son côté, introduit un module de 120 heures sur le recours proportionné à la force, dispensé en partenariat avec l’École de guerre de Yaoundé. « La meilleure prévention des abus demeure l’entraînement et la culture du compte rendu », rappelle le commissaire-divisionnaire Victor Oba, responsable de la formation continue.

Effets secondaires positifs sur la coopération régionale

La lutte contre les « bébés noirs » a des résonances régionales. Les services nigérians et gabonais ont signalé des mouvements transfrontaliers de petites cellules criminelles venues tester la porosité des frontières. Brazzaville a donc renforcé les patrouilles mixtes avec Kinshasa sur le fleuve Congo et activé, sous l’égide de la CEEAC, un groupe de partage de renseignement criminel. Cette approche collaborative conforte la réputation de la République du Congo comme acteur constructif de la sécurité collective en Afrique centrale, tout en rassurant les investisseurs sur la maîtrise du risque.

Vers une approche intégrée de sécurité humaine

Les autorités congolaises indiquent que l’opération du GIS est limitée dans le temps et adossée à un plan de réinsertion sociale des jeunes à risque, comprenant formations professionnelles, microcrédits et encadrement sportif. À moyen terme, l’objectif affiché est de transférer la main à des brigades de proximité ancrées dans les quartiers, afin de désamorcer la radicalisation précoce. Si le CAD et d’autres organisations poursuivent leur mission d’alerte, il apparaît que la synergie entre forces de sécurité, magistrature et tissu associatif constitue la clé d’une pacification durable. Le défi réside désormais dans la consolidation d’un équilibre délicat entre fermeté opérationnelle et respect scrupuleux des droits fondamentaux, gage de stabilité et de confiance pour le Congo-Brazzaville.

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