Indice de Bâle 2025 : lecture stratégique
Publiée depuis l’Université de Bâle, la nouvelle édition de l’Indice de Bâle sur le blanchiment d’argent examine 177 juridictions à travers 17 indicateurs, pondérés pour moitié par la qualité des cadres réglementaires. Sur ce baromètre 2025, la République démocratique du Congo, le Tchad et la Guinée équatoriale occupent les premiers rangs mondiaux du risque, tandis que le Congo-Brazzaville se situe au onzième rang, dans la catégorie des expositions élevées. En dépit de ce classement, l’Institut relève une amélioration globale de l’Afrique subsaharienne, portée par le retrait de plusieurs États de la liste grise du GAFI.
Au-delà du score chiffré, l’Indice ambitionne d’outiller les décideurs. « Un classement ne vaut que par la capacité des gouvernements à disséquer les vulnérabilités sous-jacentes », rappelle Elizabeth Andersen, directrice générale de l’Institut de Bâle. Cette approche résonne particulièrement chez les responsables congolais, qui y voient un instrument de pilotage pour leurs politiques de conformité, de contrôle budgétaire et de lutte contre la criminalité financière.
Une menace diffuse pour la stabilité régionale
Les flux financiers illicites constituent un multiplicateur de risques pour les États riverains du golfe de Guinée. En soutenant les trafics d’armes légères, l’orpaillage clandestin ou la pêche illégale, le blanchiment d’argent alimente des réseaux capables d’éroder la cohésion sociale et de fragiliser les ressources fiscales. Dans un contexte où les budgets de défense doivent absorber simultanément la modernisation des équipements, l’entretien du parc aéronaval et la montée en puissance des capacités cyber, chaque franc détourné rogne la manœuvre stratégique.
L’impact s’étend aussi aux opérations extérieures. Les missions de paix conduites sous la bannière de la CEEAC, ou en soutien aux Nations unies, exigent une traçabilité impeccable des fonds logistiques. Toute opacité favorise les campagnes de désinformation visant à délégitimer la présence des contingents africains. Ainsi, la maîtrise des circuits financiers se hisse au rang de vecteur de crédibilité opérationnelle autant que de souveraineté.
République du Congo : dispositif interministériel renforcé
Sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, un comité national de coordination des politiques de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme réunit désormais ministères des Finances, de la Défense, de l’Intérieur, Justice, Affaires étrangères et Banque centrale. Cette enceinte fixe des priorités partagées : cartographie des risques, obligation de déclaration d’opérations suspectes et contrôle des entités non financières telles que négociants pétroliers et opérateurs portuaires.
Le port autonome de Pointe-Noire illustre cette approche intégrée. Les scanners à rayons X acquis dans le cadre du programme de sûreté maritime, initialement destinés à la détection d’armes et de stupéfiants, sont désormais couplés à un module d’analyse douanière. Les manifestes de cargaisons sont recoupés en temps réel avec la base de données du Groupe d’action financière afin d’identifier d’éventuels bénéficiaires finaux exposés.
Synergie défense-intérieur-renseignement financier
Le Service national de Renseignement financier (SERNF), logé au sein de la Banque centrale, a signé en 2024 un protocole d’échange d’informations avec la Direction générale de la Surveillance du territoire et le Commandement de la gendarmerie. Ce cadre juridique autorise la transmission, sous scellés, de données bancaires liées à des enquêtes pour fraude douanière ou trafic d’hydrocarbures. L’objectif est d’éviter le cloisonnement qui, par le passé, permit à certaines organisations criminelles de jouer la concurrence entre administrations.
La dimension capacitaire n’est pas négligée. Dans le centre d’entraînement cyber de Brazzaville, des officiers du Bataillon de guerre électronique bénéficient d’un module sur la traçabilité blockchain, enseigné par des experts français et camerounais. Cette montée en gamme technique vise à suivre in fine les crypto-actifs susceptibles de financer des actes terroristes ou de corrompre des appels d’offres stratégiques.
Coopération CEMAC et partenariats internationaux
Au niveau régional, la Commission de la CEMAC a décidé la création d’une plateforme de partage de renseignements financiers alimentée par les six États membres. Hébergée à Libreville, elle s’interface déjà avec le réseau de communication Egmont, ce qui facilite la remontée d’alertes vers Interpol et Europol. Pour Brazzaville, cette mutualisation réduit les angles morts frontaliers, notamment dans le couloir Sangha-Oubangui où circulent à la fois devises, essences de bois précieux et cargaisons d’or.
La coopération s’étend aux partenaires extra-continentaux. En 2023, l’Union européenne a octroyé une enveloppe de dix millions d’euros au programme PASCAF, dédié au renforcement des douanes atlantiques. Les garde-côtes congolais ont ainsi reçu des séminaires sur les méthodes de ciblage fondées sur le renseignement marchandises. Ces bonnes pratiques, inspirées de la doctrine européenne, s’inscrivent dans la stratégie nationale de sûreté maritime adoptée par le Conseil national de sécurité.
Cap sur la conformité et la résilience institutionnelle
La baisse durable du risque passera moins par la multiplication de textes que par leur exécution rigoureuse. Les autorités congolaises misent sur l’audit interne, l’intégration de la norme ISO 37001 relative aux systèmes de management anti-corruption et la création de filières universitaires en criminalité financière. Le centre d’études stratégiques de Kintélé accueille déjà un mastère spécialisé où officiers et magistrats planchent sur les procédures d’entraide pénale et la confiscation d’avoirs illicites.
À moyen terme, la perspective d’une notation plus favorable pourrait réduire les primes de risque exigées par les bailleurs de fonds, libérant ainsi des marges budgétaires pour la modernisation des forces et la poursuite des grands projets d’infrastructures énergétiques. Dans cet horizon, la lutte contre le blanchiment n’est pas un exercice comptable ; elle est un socle de la résilience nationale et un facteur de sécurité collective pour l’Afrique centrale.
