Déclaration de Rabat : levier DDR pour Brazzaville

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Une avancée normative à portée continentale

La publication, par l’Organisation des Nations Unies, de la Déclaration de Rabat sur le désarmement, la démobilisation et la réintégration des enfants associés aux forces et groupes armés s’impose comme un jalon majeur de la diplomatie de protection sur le continent. Fruit de la Conférence ministérielle africaine réunie le 20 novembre 2025 dans la capitale marocaine, le texte s’inscrit désormais au double registre du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale, offrant à la fois portée politique et impératif juridico-opérationnel. Son ambition est claire : verrouiller la prévention du recrutement des mineurs, accélérer leur sortie des groupes armés et soutenir leur réinsertion durable.

Intérêt stratégique pour la sécurité nationale congolaise

Stabilisé depuis les années 2000, le Congo-Brazzaville reste néanmoins bordé par des espaces frontaliers sensibles, de la cuvette forestière à la façade atlantique exposée aux flux illicites. Dans ces zones, la circulation d’armes légères, de combattants irréguliers et de réseaux criminels constitue un risque de contamination des populations les plus jeunes. La Déclaration de Rabat fournit aux autorités congolaises un argument de poids pour densifier les actions préventives conduites par les directions départementales de la gendarmerie et par la police de l’air et des frontières. Elle légitime également la mobilisation du renseignement intérieur sur les filières de recrutement transfrontalières, de manière à anticiper tout glissement vers des schémas d’enrôlement d’enfants.

Un cadre de coopération pour les forces armées congolaises

La Force publique congolaise dispose depuis 2018 d’un détachement spécialisé dans l’appui aux processus DDR, hébergé au sein de la 31e brigade d’infanterie à Owando. Dans la continuité de la Déclaration, l’état-major envisage de renforcer ce détachement par l’envoi de cadres en formation au Centre d’excellence marocain de Salé, afin de capitaliser sur les retours d’expérience sahéliens. Le colonel Raymond Makosso, point focal DDR des Forces armées congolaises, rappelle que « la dimension protection de l’enfance n’est pas une contrainte morale importée, mais un multiplicateur d’efficacité pour la stabilisation post-conflit ». Le Congo anticipe ainsi l’intégration de modules dédiés à la prise en charge psychosociale des mineurs démobilisés dans ses cycles d’exercice, au même titre que les fondamentaux de droit international humanitaire.

Synergies diplomatiques et rôle catalyseur du Maroc

Au-delà de sa vocation humanitaire, la Déclaration consolide l’architecture de sécurité collective portée par le royaume chérifien. Rabat, acteur pivot entre Maghreb et Afrique centrale, propose un « Groupe des Amis » chargé de suivre les déclinaisons opérationnelles du texte. Brazzaville entend y faire entendre sa voix, forte de son expérience dans la prévention des crises régionales et du commandement exercé sur plusieurs contingents de maintien de la paix. La diplomatie congolaise y trouve l’opportunité de valoriser ses contributions aux forums CEMAC et au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, tout en diversifiant ses partenariats sécuritaires.

Implications industrielles : MCO, formation et innovation

La mise en œuvre de programmes DDR impose un soutien logistique pérenne : transport sécurisé, hébergement, suivi médical et traçabilité administrative. Ces besoins créent un marché de maintenance en condition opérationnelle (MCO) que les entreprises congolaises, notamment celles implantées dans la zone économique spéciale de Maloukou, commencent à explorer. Parallèlement, la société publique Congolaise de Développement du Numérique planche sur une plateforme de recensement biométrique compatible avec les standards des Nations Unies, afin d’éviter les enrôlements multiples et de fluidifier les transferts inter-agences. Selon un expert du ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, « l’outil permettra de réduire de 40 % les délais de traitement des dossiers de réinsertion, tout en garantissant la protection des données sensibles ».

Vers une convention africaine sur le recrutement d’enfants

La Déclaration de Rabat ouvre la voie à un instrument continental contraignant. Brazzaville, qui a ratifié en 2010 le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, se déclare prête à soutenir une future convention africaine. L’Observatoire national des droits de l’enfant et de l’adolescent prépare déjà un rapport d’alignement législatif, destiné à identifier les éventuels ajustements du Code de l’enfant de 2022. Une telle démarche renforcerait la posture internationale du Congo, tout en consolidant la confiance des bailleurs et des partenaires stratégiques impliqués dans la réforme du secteur de sécurité.

Cap sur une diplomatie de la protection et de la résilience

En officialisant la Déclaration de Rabat, l’ONU donne aux États africains, et au Congo-Brazzaville en particulier, un outil d’influence combinant morale, droit et efficacité opérationnelle. La réduction du phénomène d’enfants soldats se traduira par un assèchement des viviers de recrutement des groupes armés, une économie de coûts sécuritaires à moyen terme et une amélioration de la cohésion sociale. Dans un environnement sous-régional marqué par des foyers de crise persistants, la diplomatie congolaise montre qu’elle peut conjuguer respect des engagements internationaux et promotion d’une sécurité collective centrée sur l’humain. Le succès de cette stratégie dépendra néanmoins de la synergie entre forces armées, police, acteurs civils et partenaires industriels, gage d’une résilience durable face aux menaces hybrides.

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