Parcours précoce à l’École Leclerc
Né en 1939 à Létoumbou, dans l’actuelle Cuvette-Ouest, Ernest Lekana appartient à cette génération d’enfants de troupe qui, très tôt, ont été initiés à l’art militaire au sein de l’École militaire préparatoire général Leclerc. L’établissement, alors pivot régional de formation placé sous drapeau français, offrait aux élèves une discipline rigoureuse et l’apprentissage des valeurs qui structureront plus tard les forces congolaises. Entre 1953 et 1957, le jeune Lekana forge son caractère dans cet environnement d’exigence où l’on cultive déjà, avant l’indépendance, la notion de service de l’État.
Ses condisciples s’appellent Marien Ngouabi, Jacques Joachim Yhomby Opango ou encore Pierre Obou, futurs cadres de la République et des forces armées. Cette constellation de talents explique que la promotion Serge Krochant soit souvent présentée comme l’une des matrices de la future élite stratégique congolaise. De cette proximité, Ernest Lekana tire un sens aigu du collectif, essentiel pour comprendre sa capacité à fédérer, beaucoup plus tard, la communauté des anciens combattants.
Engagement opérationnel entre Algérie et Congo
À sa sortie de l’école, le jeune sergent est envoyé en 1958 au centre d’instruction de Bouar, avant d’être affecté, en janvier 1959, au 65e Régiment d’infanterie de marine engagé sur le théâtre algérien. Cette projection outre-mer constitue pour lui un baptême du feu et le confronte à une guerre asymétrique dont il retiendra l’importance du renseignement de terrain et de la relation avec les populations locales.
Admis à la première session du cours des instructeurs africains au printemps 1959, il est désigné pour représenter l’AEF lors du défilé du 14 juillet à Paris, signe de son ascension rapide et de la confiance placée en son sens tactique. Revenu au Congo en 1961, Lekana met à profit l’expérience acquise pour participer à l’ultime phase de structuration des Forces armées congolaises naissantes. Son passage au front algérien lui confère un regard singulier sur les dynamiques insurrectionnelles qui marqueront plus tard la sous-région.
Serviteur précurseur de la Gendarmerie nationale
Si l’image d’Ernest Lekana est régulièrement associée à l’infanterie de marine, son empreinte la plus durable se situe sans nul doute au sein de la Gendarmerie nationale congolaise. Dès 1963, il suit un stage d’encadrement des sous-officiers, devenant l’un des premiers cadres locaux de cette institution clé pour la sécurité intérieure. Cette orientation marque un tournant : en intégrant un corps mixte aux prérogatives civiles et militaires, Lekana comprend que la stabilité nationale se joue autant dans la proximité avec les populations que dans la maîtrise des menaces diffuses.
Sa progression de grade en grade – sous-lieutenant en 1975, lieutenant en 1977, capitaine en 1981, commandant en 1986 puis lieutenant-colonel en 1991 – atteste d’une carrière bâtie sur la probité et l’exigence professionnelle. « Son dossier ne mentionne aucune sanction disciplinaire », souligne un officier supérieur consulté lors de la cérémonie d’hommage. Cet élément, rare dans les parcours au long cours, témoigne d’une rectitude remarquée par les autorités militaires et civiles.
Architecte de la mémoire combattante
Retraité des armes mais jamais de l’institution, Lekana accepte en 2024 la présidence de l’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre. Cette fonction, récemment modernisée par les autorités, vise à renforcer la cohésion nationale en valorisant l’effort de guerre passé et présent. Sous son impulsion, l’ONAC-VG lance plusieurs chantiers : numérisation des archives, redynamisation du foyer de Bacongo et accompagnement médico-social des blessés invisibles. La feuille de route répond à la stratégie gouvernementale de résilience, qui articule reconnaissance et réinsertion.
Le 3 décembre 2025, les rangs serrés de l’Association des anciens enfants de troupe se forment devant la stèle érigée à l’École Leclerc. Chaque promotion, conduite par ordre d’ancienneté, répète un cérémonial immuable : salut, dépôt de gerbe, minute de silence. La présence du général de division Guy-Blanchard Okoï, chef d’état-major général, confère à l’événement une dimension d’unité qui transcende les générations. Dans l’oraison funèbre, Serge Eugène Ghoma Boubanga insiste sur le message de patience et de résilience légué par le défunt, rappelant que la victoire stratégique s’inscrit toujours dans la durée.
Transmission et exigence pour les jeunes cadres
Au-delà de l’émotion, l’inhumation au cimetière Bouka soulève la question de la transmission. Les vingt premières promotions de l’École Leclerc, à présent représentées par l’AET Félix Mouzabakani, ne comptent plus qu’une poignée de vétérans. Pour les jeunes officiers, l’expérience d’un Ernest Lekana illustre la dialectique entre modernité et tradition : la technologie ne saurait remplacer l’éthique personnelle ni le sens du devoir.
Willy Lekana, colonel et fils du défunt, témoigne que son père « corrigeait d’abord la posture avant la technique ». Cette maxime résonne auprès des instructeurs actuels, alors que l’armée congolaise investit dans les domaines émergents – drones, ISR, cyberdéfense. Les forces gagnent en capacité, mais l’esprit de corps demeure le socle. En rendant hommage à La Graine, surnom affectueux d’Ernest Lekana, la Nation rappelle à ses soldats que la graine ne germe qu’à condition d’être arrosée de discipline et de loyauté.
