La recomposition franco-africaine et ses enjeux sécuritaires
La vague de cessions opérées par TotalEnergies, Orano, Eramet comme par les grands établissements bancaires tricolores inaugure une ère de rééquilibrage économique dont la portée dépasse le simple champ commercial. Derrière chaque terminal pétrolier, chaque gisement d’uranium ou chaque guichet bancaire se cache un maillon de la sécurité nationale, qu’il s’agisse d’approvisionnements critiques, de recettes fiscales ou de données sensibles. Le rétractation de la France, puissant partenaire historique, fait ainsi émerger d’autres acteurs – régionaux, asiatiques ou moyen-orientaux – dont les méthodes de sécurisation diffèrent et dont l’interopérabilité militaire n’est pas toujours garantie.
- La recomposition franco-africaine et ses enjeux sécuritaires
- Impact énergétique : stations-services et stations radar
- Mines stratégiques : entre souveraineté et contre-ingérence
- Systèmes bancaires : un front discret de la sécurité intérieure
- Vers de nouveaux partenariats sécuritaires pour Brazzaville
- Prospective : sécuriser les investissements critiques africains
Impact énergétique : stations-services et stations radar
Au Burkina Faso et au Mali, la cession de 170 stations-service de TotalEnergies à des opérateurs locaux rebat les cartes de la logistique terrestre, essentielle aux forces engagées dans la lutte antiterroriste au Sahel. Si l’homme d’affaires Idrissa Nassa entend moderniser le réseau, la capacité à maintenir les standards OTAN en carburants opérationnels reste à démontrer. Pour les États riverains du golfe de Guinée, dépendants des flux sahéliens, la résilience énergétique de leurs flottes aériennes et navales devient un sujet majeur. À Brazzaville, le haut-commandement de l’Armée de l’air suit de près les procédures de certification JET A-1 sur les axes Abidjan-Ouagadougou-Ndjamena afin de garantir la projection rapide des Casa CN-235 engagés dans les missions de surveillance maritime.
Mines stratégiques : entre souveraineté et contre-ingérence
La nationalisation fulgurante des filiales d’Orano au Niger et la restriction des exportations de manganèse décidée par le Gabon témoignent d’une volonté souverainiste légitime. Toutefois, la maîtrise du cycle de l’uranium ou du manganèse n’est pas qu’industrielle ; elle implique un dispositif de sûreté intégré, allant du renseignement minier à la protection armée des convois. Les nouveaux opérateurs, parfois soutenus par des partenaires extrarégionaux, devront composer avec des normes de non-prolifération et avec la montée des menaces hybrides – cyberattaques sur les SCADA, désinformation autour des contrats. Les centres de fusion du renseignement de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) y voient l’opportunité de renforcer la mutualisation des drones ISR et des capacités SIGINT, notamment au profit du Congo-Brazzaville qui importe déjà 30 % de son électricité de barrages alimentés par le manganèse gabonais.
Systèmes bancaires : un front discret de la sécurité intérieure
Le retrait programmé de BNP Paribas et Société Générale d’une dizaine de marchés, dont le Congo-Brazzaville, ne se résume pas à un enjeu de profitabilité. Les filiales africaines hébergeaient des infrastructures critiques de paiement, ainsi que des bases de données financières précieuses pour le suivi des flux illicites. Leur transfert à des groupes panafricains ou à des consortiums d’investisseurs impose de requalifier les protocoles KYC/AML sous contrôle des cellules nationales de renseignement financier. À Brazzaville, la Direction générale de la surveillance du territoire coordonne déjà des ateliers avec la Banque centrale et l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information pour préserver la continuité cyber et éviter qu’une éventuelle fragmentation des switchs de paiement n’offre un boulevard aux réseaux criminels ou terroristes.
Vers de nouveaux partenariats sécuritaires pour Brazzaville
Face à ces mutations, la diplomatie congolaise, sous l’égide du président Denis Sassou Nguesso, adopte une posture d’ouverture pragmatique. L’accord de coopération en matière de défense signé récemment avec l’Angola intègre une clause énergétique : la protection conjointe des dépôts stratégiques sur le corridor Pointe-Noire-Luanda. Parallèlement, un dialogue trilatéral Congo-France-Émirats arabes unis explore la possibilité d’installer un centre régional de maintenance aéronautique à Ollombo, susceptible d’accueillir les flottes CASA, Super Tucano et drones MALE de plusieurs États membres de la CEEAC. La contraction des positions françaises ne signifie donc pas un retrait des savoir-faire hexagonaux : elle ouvre la voie à des montages capacitaires où Paris conserverait un rôle de partenaire technique, tandis que le financement proviendrait de bailleurs multilatéraux ou de fonds souverains du Golfe.
Prospective : sécuriser les investissements critiques africains
Au-delà de 2026, le Sommet Afrique-France de Nairobi devra intégrer une lecture de sécurité collective des investissements. L’expérience sahélienne démontre qu’un site industriel est vulnérable dès lors qu’il se trouve en zone grise. Pour anticiper, plusieurs États d’Afrique centrale envisagent la création d’une Force d’intervention rapide interarmées de protection des infrastructures critiques, dotée de moyens héliportés et d’équipes EOD. Le Congo-Brazzaville, disposant déjà d’un bataillon d’intervention rapide expérimenté au sein de la MINUSCA, se positionne pour abriter le centre régional d’entraînement, avec un appui doctrinal de l’École de Guerre économique de Paris. À terme, la pérennité des chaînes de valeur africaines dépendra autant de la robustesse des montages financiers que de la capacité des forces nationales à protéger ports, mines, pipelines et data-centers.
