Hommage national au dernier pionnier de la Gendarmerie

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Dernier vétéran de la promotion Sergent Krochant

La stèle des Anciens Enfants de Troupe (AET), sise à Brazzaville, a vibré le 3 décembre sous les sonneries réglementaires tandis que les drapeaux se penchaient pour saluer le lieutenant-colonel à la retraite Ernest Lekana. Ultime représentant de la promotion Sergent Krochant (1953-1957) de l’École militaire préparatoire général Leclerc, il incarnait une page fondatrice de l’histoire militaire nationale. Aux côtés de Marien Ngouabi et de Jacques Joachim Yombi Opango, ses condisciples, Lekana avait forgé les prémices d’un esprit de corps qui irrigue encore les forces aujourd’hui. La liturgie militaire observée, rythmée par six séquences protocolaires strictes, a rappelé le rôle central de la tradition dans la cohésion opérationnelle des unités – une dimension désormais intégrée à la doctrine de préparation morale des Forces armées congolaises.

Une trajectoire fondatrice pour la gendarmerie congolaise

Entré à l’École de gendarmerie en juin 1953, Ernest Lekana s’est immédiatement inscrit dans la lignée des pionniers du corps. Son affectation au groupement d’intervention de Fort-Lamy, alors pivot sécuritaire de l’AEF, a façonné sa compréhension des théâtres sahéliens et de la lutte anti-insurrectionnelle. Officier d’une rare longévité, il a successivement endossé les galons de sous-lieutenant (1975), lieutenant (1977), capitaine (1981), commandant (1986) puis lieutenant-colonel (1991), illustrant la politique d’ascension au mérite qui prévaut encore dans la Gendarmerie nationale. Ses anciens compagnons rappellent qu’il enseignait « la patience stratégique », préalable à toute manœuvre sécuritaire efficace. Cette philosophie inspire aujourd’hui les stages de commandement intermédiaire dispensés au Centre d’instruction de Djoué, où son nom circule comme une référence pédagogique.

L’ONAC-VG, vecteur de cohésion stratégique

Nommé en 2024 à la tête de l’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONAC-VG), Ernest Lekana a œuvré à transformer cette institution en véritable bras armé de la politique mémorielle. Sous son impulsion, l’Office a systématisé le recueil des retours d’expérience opérationnelle afin d’alimenter la formation des jeunes cadres. Cette démarche s’inscrit dans la vision du président Denis Sassou Nguesso qui voit dans la transmission intergénérationnelle un levier de résilience nationale. Le dialogue institutionnalisé entre vétérans et planificateurs d’état-major, récemment salué par le chef d’état-major général, le général de division Guy Blanchard Okoï, constitue désormais un canal complémentaire aux cycles classiques de renseignement de situation.

La symbolique des AET dans la formation des élites

L’Association des AET du Congo, conduite par l’AET Rémy Ayayos Ikounga, a placé la cérémonie d’adieu sous le signe de la continuité. À travers la présence de dix-huit promotions, dont celle de l’aïeul Félix Mouzabakani (matricule 47), le rituel a rappelé que l’École militaire préparatoire reste l’un des creusets d’élite les plus féconds d’Afrique centrale. La chaîne hiérarchique des AET, organisée par ordre d’ancienneté, fonctionne comme un réseau d’influence discret mais puissant, capable d’accompagner les réformes capacitaires ou la modernisation du maintien de l’ordre. La mémoire d’Ernest Lekana y sert de boussole, rappelant que leadership et loyauté se construisent dès la phase pré-académique de la formation militaire.

Un modèle de résilience salué par l’État-Major

Le général Okoï, représentant le haut commandement, a souligné la dimension exemplaire d’une carrière commencée à Owando, poursuivie dans les confins tchadiens et achevée au service des anciens combattants. Selon lui, « le lieutenant-colonel Lekana symbolise la résilience stratégique : savoir durer pour mieux vaincre ». L’éloge s’inscrit dans la doctrine nationale de sécurité intérieure, qui valorise la capacité d’adaptation face aux menaces évolutives que sont la piraterie dans le golfe de Guinée, la criminalité transfrontalière ou les cyber-intrusions. En se réappropriant les parcours d’anciens cadres, l’État-Major nourrit un récit fédérateur qui consolide la morale des troupes engagées dans les théâtres de Kintélé, Pointe-Noire ou Oyo.

Transmission des valeurs aux nouvelles générations

Alors que la garde au drapeau se retirait au son du clairon, Willy Lekana, fils du défunt et officier supérieur, a rappelé que la meilleure façon d’honorer son père demeure l’engagement quotidien dans la discipline et l’innovation. Les élèves-officiers présents ont entendu un message clair : la défense nationale ne repose pas seulement sur la puissance de feu mais sur la qualité humaine des soldats. À l’heure où les forces congolaises intensifient leurs partenariats de formation avec la CEMAC et consolident leurs capacités ISR, la leçon de cette journée résonne comme un rappel au socle éthique. Ernest Lekana aura, jusqu’à son dernier souffle, incarné ce lien indéfectible entre mémoire et projection. Sa disparition clôt un chapitre, mais ouvre à la génération montante un horizon d’exigence et de service.

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