Inondations: l’armée marocaine inspire Brazzaville

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Un hôpital en première ligne, révélateur de la chaîne sécuritaire

Le 14 décembre, la province marocaine de Safi a subi plus de soixante millimètres de précipitations en quelques heures, provoquant des crues soudaines et l’afflux de victimes vers l’hôpital Mohammed V. Sous l’autorité du directeur Khalid Iazza, l’établissement a immédiatement déclenché un plan d’urgence mobilisant médecins, infirmiers, logisticiens et administratifs. Cinquante lits ont été dédiés, nombre porté à mesure de l’arrivée des blessés, tandis que deux patients étaient stabilisés en réanimation et que dix-huit souffrant d’hypothermie sévère recevaient un traitement adapté.

Au-delà de la performance hospitalière, cet épisode met en lumière la complémentarité entre dispositif de santé et architecture sécuritaire nationale. Les Forces Armées Royales, en appui discret mais décisif, assurent le transport des patients depuis les zones enclavées et veillent à la continuité des flux logistiques. L’absence de rupture d’approvisionnement, soulignée par la direction médicale, repose sur une planification coordonnée entre la santé, la protection civile et la défense, intégrée dans le concept marocain de « sécurité globale ».

Logistique militaire et évacuation sanitaire : une symbiose à fort rendement

Les premières heures d’une catastrophe conditionnent la survie des blessés. À Safi, trois vecteurs ont été privilégiés : la gendarmerie royale pour le dégagement des axes, la marine pour la zone littorale inondée et l’aviation légère des Forces Armées Royales pour les villages isolés par les torrents. Cette pluralité de moyens confère une profondeur stratégique à la manœuvre médicale.

Le Congo-Brazzaville, fréquemment exposé aux crues rapides du Kouilou et aux remontées lagunaires, observe avec attention cette organisation. Le chef d’état-major des Forces Armées Congolaises confiait récemment, sous couvert d’anonymat, que « la projection médico-opérationnelle reste notre maillon perfectible ». L’exemple marocain démontre que la constitution d’équipes mixtes mêlant chirurgiens militaires, ingénieurs de la santé et logisticiens de la chaîne du froid réduit drastiquement le délai d’évacuation vers des plateaux techniques adaptés.

Télé-imagerie et résilience technologique : capitaliser sur l’existant

L’hôpital Mohammed V n’a pas seulement mis en avant ses capacités humaines ; il a aussi démontré la robustesse de son parc technologique. Radiologie numérique, échographie multiparamétrique et scanner hélicoïdal ont fonctionné sans interruption grâce à un réseau électrique redondant alimenté par groupes électrogènes militaires. Les données d’imagerie ont été transmises en temps réel à Rabat pour un deuxième avis, preuve de la maturité de la chaîne de télé-expertise.

Brazzaville dispose déjà de solutions analogues au sein de l’Hôpital des Armées Pierre-Mobengo et du Service de santé des armées. Toutefois, le partage interopérable avec les structures civiles demeure embryonnaire. L’approche marocaine, fondée sur une plateforme commune et chiffrée, rappelle qu’une souveraineté numérique s’appuie autant sur la cybersécurité que sur la résilience énergétique. La Direction générale de la sécurité des systèmes d’information, récemment créée au Congo, pourrait s’inspirer de cette architecture pour fiabiliser la e-santé d’urgence.

Coopération Maroc-Congo : vers des transferts capacitaires ciblés

La relation de défense entre Rabat et Brazzaville est ancienne ; elle s’était illustrée en 2020 lors de la livraison de matériels de protection sanitaire contre la pandémie. Les inondations de Safi rouvrent le dossier d’une coopération médicale militaire plus structurée. Selon une source diplomatique congolaise, un mémorandum d’entente portant sur la formation aux plans d’urgence et sur l’ingénierie hospitalière de campagne serait en cours de finalisation.

Ce partenariat pourrait inclure l’accueil d’équipes congolaises en stage d’immersion à Safi, l’implantation de modules marocains de triage avancé à Pointe-Noire et la fourniture de logiciels de régulation médicale. De son côté, le Congo offrirait un terrain d’expérimentation tropicale utile aux médecins militaires marocains engagés dans les opérations onusiennes en Afrique centrale. Un tel échange, mutuellement bénéfique, consoliderait les piliers de la coopération Sud-Sud prônée par les deux chefs d’État.

Vers une doctrine CEMAC de réponse aux crises climatiques

La multiplication des événements hydro-météorologiques extrêmes dans le Golfe de Guinée appelle une réponse collective. Les ministres de la Défense de la CEMAC, réunis à Bangui en octobre, ont adopté une feuille de route pour un détachement régional de secours rapide. L’étude de cas de Safi pourrait servir de matrice à cette doctrine naissante dans trois domaines : l’alerte précoce, la mutualisation des moyens aériens et la standardisation des soins d’urgence.

Pour le Congo-Brazzaville, chef de file du comité technique sur la santé militaire, l’enjeu est double. Il s’agit, d’une part, d’accroître la résilience interne en dotant les hôpitaux de référence de stocks stratégiques et de réseaux alternatifs d’énergie. Il s’agit, d’autre part, de garantir la projection extérieure de ses équipes médicales dans un esprit de solidarité régionale. « Notre sécurité intérieure commence là où s’arrête la vulnérabilité de nos voisins », rappelait un officier supérieur congolais lors du dernier exercice « Kimia ».

L’expérience marocaine, riche de procédures rodées et d’un savoir-faire logistique éprouvé, propose un modèle adaptable plutôt qu’une solution clé en main. Son enseignement principal demeure la nécessaire cohérence entre plan de secours civil et soutien militaire, condition sine qua non d’une gestion de crise efficace et apaisée.

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