Mongoumba : hub fluvial et bouclier sécuritaire

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Une artère logistique aux enjeux militaires partagés

L’annonce par le président centrafricain Faustin Archange Touadéra, le 10 décembre 2025, du démarrage des travaux du port de Mongoumba a immédiatement résonné de ce côté-ci de l’Oubangui. Pour Brazzaville, l’ouvrage constitue bien davantage qu’une simple extension commerciale ; il complète la route national 1 et offre une seconde profondeur stratégique vers Bangui. Le corridor fluvial devient un chaînon de résilience pour les flux de carburants, de vivres opérationnels et de pièces détachées destinés aux forces congolaises déployées dans le Nord. Il réduit, de surcroît, la vulnérabilité aux aléas sécuritaires qui pèsent sur l’axe routier Ouésso-Bangui, cible intermittente de coupeurs de route et de réseaux criminels transnationaux.

Dans son allocution, le représentant de la Banque africaine de développement a évoqué la « modernisation du transport fluvial centrafricain ». À l’échelle régionale, cette modernisation appelle une sécurisation de bout en bout ; or l’État congolais dispose déjà d’une expertise de contrôle de façade maritime transférable à l’environnement fluvial. Ainsi, l’ouvrage de Mongoumba n’est pas perçu comme un projet uniquement centrafricain, mais comme le maillon d’une architecture de sécurité commune qui devrait, à terme, agréger les doctrines et les capacités des deux Congo.

Des patrouilles fluviales congolaises en première ligne

La multiplication annoncée du trafic – jusqu’à 168 milliards FCFA d’investissements – impose un maillage opérationnel renforcé. La Marine nationale congolaise, dont le bataillon fluvial est stationné à Impfondo, prépare déjà l’affectation de deux vedettes rapides de type Shark 22 rénovées par les Ateliers Navals du Port autonome de Pointe-Noire. L’objectif est double : escorter les convois civils jusqu’au point frontière et dissuader la contrebande qui, selon des autorités centrafricaines, parvient aujourd’hui à échapper à une tentative de contrôle sur neuf bateaux sur dix.

Ces missions entrent dans le cadre du plan de sauvegarde des voies navigables lancé par le ministère de la Défense, plan qui bénéficie d’un appui technique français en matière de navigation intérieure. Des séances d’entraînement conjointes avec la gendarmerie fluviale, centrées sur l’arraisonnement non permissif et la lutte contre la pollution accidentelle, se sont déroulées en novembre dernier à Mossaka. « Notre priorité est de conjuguer liberté de circulation et sûreté frontalière », résume le capitaine de frégate Michel Louvoulou, commandant des forces fluviales.

Interopérabilité CEMAC : vers un commandement commun du corridor

Au-delà de la coopération bilatérale, le corridor Oubangui s’inscrit dans la feuille de route sécuritaire de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. Libreville étudie la création d’une cellule de renseignement fluvial mutualisée, alimentée par les centres de fusion de Yaoundé et de Pointe-Noire, spécialisés dans la lutte contre la piraterie dans le golfe de Guinée. La numérisation des manifestes de cargaison, soutenue par la plateforme douanière congolaise e-Licence, permettra un suivi en temps réel des barges depuis leur départ de Brazzaville jusqu’à l’accostage à Bangui.

Selon une source diplomatique congolaise, un document d’orientation est en cours de finalisation ; il prévoit la mise en place d’un commandement conjoint rotatif entre la RCA et le Congo, chargé d’ordonner les patrouilles, d’harmoniser la signalisation et de coordonner les procédures de secours. L’approche, inspirée du modèle GoGIN no1 appliqué en Atlantique, répond à l’impératif de maîtriser une menace hybride : trafics illicites, mouvements armés non étatiques mais aussi sinistres naturels récurrents (crues, naufrages).

L’industrie navale congolaise appelée à se moderniser

L’impact industriel pour la République du Congo est tangible. L’augmentation attendue du trafic dopera la demande en barges, pousseurs et unités de soutien logistique. Les Chantiers fluviaux de Yéma, récemment repris par un consortium public-privé, ambitionnent de produire localement des barges de 800 tonnes adaptées au tirant d’eau variable de l’Oubangui. Ce développement s’inscrit dans la nouvelle stratégie nationale MCO 2022-2028, qui encourage les sociétés d’État à nouer des partenariats de transfert de technologie.

Parallèlement, la direction de la maintenance navale de la Défense explore l’option de co-localiser son futur centre de remise à niveau des moteurs MTU au port sec de Dolisie, afin de réduire le coût des arrêts techniques de la flotte fluviale. « Nous devons passer d’une logique de réparation ponctuelle à une logique de cycle de vie, gage d’endurance opérationnelle », insiste le colonel-ingénieur Henri Ndounda, responsable du projet. Les universités techniques de Brazzaville et d’Oyo planchent de leur côté sur des modules de formation aux systèmes de propulsion électriques fluviaux, anticipant les exigences environnementales de la BAD.

Résilience énergétique et soutien aux opérations extérieures

L’ouverture prochaine de Mongoumba aura enfin des retombées sur la politique extérieure de Brazzaville. Le flux logistique facilité vers Bangui soutiendra le contingent congolais engagé au sein de la Mission de formation de l’Union africaine en RCA, en permettant l’acheminement plus régulier de carburant aviation, de rations ISO et de moyens médicaux. Les projections stratégiques pourraient même s’étendre à la République démocratique du Congo, via le couloir Aruwimi, si les études bathymétriques en cours confirment la navigabilité.

Sur le plan énergétique, le dépôt flottant en projet au port de Mongoumba offrira une capacité tampon de 15 000 m³ de GO et Jet A-1. Un tel volume sécurisera les réserves stratégiques régionales face aux variations mondiales et réduira la dépendance envers le terminal maritime de Pointe-Noire en cas de crise portuaire. Selon le ministère congolais des Hydrocarbures, cette diversification logistique s’inscrit pleinement dans la vision du président Denis Sassou Nguesso : bâtir une économie ouverte, interdépendante et sécurisée, où la défense et la croissance ne s’opposent pas mais se renforcent mutuellement.

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