La poliomyélite, nouvelle frontière de la sécurité nationale
Lorsque Brazzaville a accueilli, du 2 au 5 décembre 2025, la 35ᵉ session de la Commission régionale africaine de certification pour l’éradication de la poliomyélite, les diplomates de la santé ont insisté sur le continuum entre impératif sanitaire et stabilité politique. Dans une Afrique centrale où la densité démographique côtoie des mobilités frontalières intenses, la circulation de poliovirus de types 1 et 3 menace bien plus que la seule santé publique ; elle représente un facteur potentiel de désorganisation sociale, donc de vulnérabilité stratégique. Le professeur Donatien Mounkassa a d’ailleurs souligné que « préserver le capital humain, c’est aussi consolider la résilience nationale ». L’argument résonne fortement dans un pays dont la Constitution érige la sécurité des populations au rang de priorité souveraine.
- La poliomyélite, nouvelle frontière de la sécurité nationale
- Forces armées congolaises : une plus-value logistique et opérationnelle
- Renseignement sanitaire et coordination transfrontalière
- Capacités industrielles nationales : la défense en soutien à l’offre vaccinale
- Vers une doctrine congolaise de résilience intégrée
Forces armées congolaises : une plus-value logistique et opérationnelle
Le Service de santé des Forces armées congolaises, adossé aux hôpitaux militaires de Brazzaville et de Pointe-Noire, constitue un multiplicateur de puissance dans la campagne vaccinale. Son réseau de dispensaires déployés jusqu’aux confins de la Cuvette-Ouest achemine, sous escorte, des doses sensibles en maintenant la chaîne du froid, là où les opérateurs civils se heurtent à l’état des pistes ou à l’insécurité fluviale. Les militaires apportent également leur expertise en planification d’opérations. Les cartographies issues des états-majors permettent d’identifier les zones à risque, notamment celles qui accueillent des réfugiés venant de RDC, afin de calibrer des détachements mixtes santé-gendarmerie capables de vacciner et de sécuriser simultanément. Enfin, les procédures de retour d’expérience, appliquées habituellement aux exercices interarmes, sont transposées à la riposte sanitaire pour ajuster en temps réel la couverture.
Renseignement sanitaire et coordination transfrontalière
La réunion de Brazzaville a rappelé que vingt cas confirmés depuis 2023 suffisent à maintenir une alerte de niveau élevé. Or la valeur ajoutée des forces de sécurité intérieure réside désormais dans la collecte et la fusion de données épidémiologiques. Les détachements avancés de la gendarmerie, dotés de stations satellitaires légères, transmettent chaque semaine des signaux biologiques sur la qualité de l’eau et la présence de poliovirus dans les estuaires. Ces informations sont consolidées par le Centre national de renseignement sanitaire, cellule créée en 2024 au sein de la Direction générale de la surveillance du territoire. L’échange d’alertes en temps quasi réel avec l’Angola, le Cameroun et le Tchad épouse les mécanismes d’entraide déjà éprouvés dans la lutte contre la criminalité transfrontalière, illustrant l’émergence d’un véritable espace de sûreté sanitaire régionale.
Capacités industrielles nationales : la défense en soutien à l’offre vaccinale
Si la C.R.C.A. a appelé à élargir la couverture vaccinale systématique, le défi logistique reste colossal. C’est ici que le partenariat entre la Base logistique des armées à Igné, la société publique Médicaments du Congo et l’Unité de maintenance du matériel roulant militaire offre une réponse intégrée. Les ateliers de l’armée adaptent des conteneurs frigorifiques de surplus afin d’accroître la capacité de stockage mobile. Parallèlement, la Direction générale de l’armement et des industries de défense soutient un programme d’assemblage local de réfrigérateurs solaires qui équipe déjà soixante-dix centres de santé frontaliers. Ce savoir-faire dual illustre l’effet de levier qu’exerce la BITD congolaise sur les politiques de santé, tout en renforçant l’autonomie stratégique du pays face aux tensions sur les chaînes d’approvisionnement mondiales.
Vers une doctrine congolaise de résilience intégrée
Au regard des recommandations de la C.R.C.A., le gouvernement envisage d’inscrire, dans la prochaine Loi de programmation militaire et sécuritaire, un volet « résilience sanitaire » articulé autour de trois axes. D’abord, la mise à niveau de la biosécurité sur les sites sensibles, avec la formalisation d’un plan national de confinement des poliovirus, aujourd’hui à l’état d’ébauche. Ensuite, l’introduction d’un module d’épidémiologie de terrain à l’École de guerre, de manière à nourrir le cycle renseignement-planification-action. Enfin, le renforcement de la diplomatie sanitaire, champ où la République du Congo peut capitaliser sur son rôle d’hôte de nombreuses agences de l’OMS à Brazzaville. Comme l’a résumé la professeure Rose Gana Fomban Léké, « l’éradication de la polio est un test de solidarité continentale ». Pour le Congo, c’est aussi une opportunité de démontrer que la défense des populations, qu’elle soit sanitaire ou militaire, procède d’une même exigence de souveraineté et de projection d’influence pacifique.
