Une transition continentale au parfum sécuritaire
Le 11 décembre 2025, la quatre-vingt-quinzième session ordinaire du Conseil des ministres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, réunie à Abuja, a officialisé par consensus le soutien des quinze capitales de la CEDEAO à la candidature de l’ancien président ghanéen John Dramani Mahama pour la présidence de l’Union africaine en 2027. Derrière cette annonce, passée sous silence dans le communiqué final des chefs d’État, se dessine une dynamique institutionnelle plus large : celle qui verra, dès 2026, le Président Denis Sassou Nguesso assumer la magistrature continentale avant de transmettre le flambeau à l’espace ouest-africain un an plus tard.
- Une transition continentale au parfum sécuritaire
- Le mandat congolais : vecteur de stabilité et de projection
- La candidature Mahama : continuité géopolitique de la CEDEAO
- Confluence d’intérêts entre Brazzaville et Abuja
- Impact pour les forces congolaises et l’industrie locale
- Vers un agenda sécuritaire continental plus intégré
- Regard des partenaires internationaux
- Une séquence décisive pour la sécurité africaine
Le mandat congolais : vecteur de stabilité et de projection
L’accession annoncée du chef de l’État congolais à la tête de l’organisation panafricaine intervient dans un contexte de recomposition sécuritaire marqué par la persistance des menaces transnationales au Sahel, la montée des risques de piraterie dans le golfe de Guinée et la compétition technologique dans le cyberespace. À Brazzaville, le ministère délégué à la Défense nationale voit dans cette fenêtre de douze mois une occasion de faire rayonner les savoir-faire militaires congolais, notamment en matière de soutien logistique fluvial et de formation génie-pontage, deux niches identifiées par l’état-major général comme des « capacités exportables » au service des missions de paix onusiennes et africaines.
Lors d’un récent entretien accordé à notre rédaction, un officier supérieur du Commandement interarmées confiait : « Présider l’UA, c’est disposer d’une tribune pour promouvoir une vision de sécurité collective fondée sur la complémentarité des moyens. Nous mettrons l’accent sur l’interopérabilité, du renseignement humain au partage d’imagerie satellitaire. »
La candidature Mahama : continuité géopolitique de la CEDEAO
Si l’Afrique centrale s’apprête à exercer le leadership continental, la décision d’Abuja garantit à l’Afrique de l’Ouest une transition fluide et stratégique. John Dramani Mahama, dont le mandat présidentiel au Ghana a été marqué par l’activation du Mécanisme sous-régional de réponse immédiate aux crises (ESF), incarne pour ses pairs ouest-africains la capacité à parler d’une seule voix sur les dossiers militaires. Accra a notamment joué un rôle moteur dans la Force en attente de la CEDEAO et dans l’harmonisation des codes maritimes contre la pêche illicite.
En confirmant un candidat unique, les ministres des Affaires étrangères de la CEDEAO entendent prévenir les rivalités internes qui, par le passé, ont freiné la prise de décision au sein de l’UA. L’unanimité obtenue révèle une discipline de bloc et, surtout, la volonté de peser sur l’agenda post-2027 : réforme du financement de l’Architecture africaine de paix et de sécurité, mutualisation des centres de cyberdéfense, renforcement des partenariats capacitaires avec l’Union européenne et la Chine.
Confluence d’intérêts entre Brazzaville et Abuja
Loin d’annoncer une compétition, la séquence 2026-2027 dessine une complémentarité. Le ministre congolais des Affaires étrangères a salué « une démarche de solidarité régionale qui consolide le rôle axial de l’Afrique centrale dans la lutte contre les menaces hybrides ». De sources diplomatiques, Brazzaville et Abuja ont déjà convenu de réunions techniques consacrées à la continuité institutionnelle afin d’éviter tout relâchement des dispositifs de prévention des conflits. Parmi les chantiers identifiés figure la finalisation d’un cadre doctrinal commun pour le renseignement maritime couvrant les cinq zones du code de conduite de Yaoundé.
Cette synchronisation répond à un impératif opérationnel. Les trafics d’armes légères empruntent des couloirs qui relient l’Atlantique à la bande sahélienne. Un officier de la Marine congolaise souligne que « l’anticipation, par le partage d’alertes croisées, sera la clef pour réduire de façon tangible le temps de réaction des forces riveraines ».
Impact pour les forces congolaises et l’industrie locale
La présidence Sassou Nguesso constitue également un levier pour dynamiser la jeune base industrielle et technologique de défense congolaise. Les autorités entendent profiter de la visibilité continentale pour attirer des partenariats en maintenance aéronautique, en fabrication de composants électroniques durcis et en drones légers de surveillance de pipeline. Une mission conjointe du ministère du Développement industriel et du cabinet militaire de la Présidence finalise, selon nos informations, un catalogue de projets « prêts à signer » devant être présenté au sommet de l’UA en février 2026.
Sur le plan doctrinal, l’état-major général prépare une mise à jour du Livre blanc sur la défense, document qui n’a pas été révisé depuis 2017. L’objectif est de refléter les engagements à venir dans les opérations de l’UA et de mieux articuler les contributions congolaises à la Force africaine en attente. Plusieurs centres de réflexion régionaux, dont l’Institut d’études de sécurité de Pretoria, ont été sollicités pour collaborer à cette révision.
Vers un agenda sécuritaire continental plus intégré
En coulisses, diplomates congolais et ghanéens explorent déjà une feuille de route partagée dépassant la simple alternance institutionnelle. La lutte contre les menaces asymétriques sera placée sous le signe de la « résilience sociétale », notion qui associe dimension militaire, développement durable et cybersécurité. Brazzaville plaide pour que l’UA lance, sous sa future présidence, une initiative de formation d’élites africaines à l’analyse de données stratégiques, couplée à un programme d’appui aux start-ups de sécurité numérique.
L’Afrique de l’Ouest voit, pour sa part, dans la présidence Mahama l’opportunité de consolider les mécanismes d’intervention rapide contre les putschs et les groupes armés non étatiques. De sources proches de la Commission, un consensus se dessine déjà pour confier au Ghana la coordination d’un groupe de suivi des objectifs capacitaires, auquel le Congo devrait être associé à titre de partenaire-pilote pour la surveillance fluviale.
Regard des partenaires internationaux
Paris, Washington et Pékin observent attentivement cette succession. Les chancelleries saluent l’idée d’une passation planifiée entre deux sous-régions souvent présentées comme concurrentes. Un diplomate européen en poste à Addis-Abeba confie que « la stabilité de l’UA pendant ces deux ans charnières dépendra de la capacité de Brazzaville et de la CEDEAO à parler d’une seule voix sur la réforme du Fonds de la paix ». Cette attente ouvre un espace d’influence pour le Congo, qui pourra valoriser son engagement de long terme dans les opérations de soutien à la paix, du Darfour à la Centrafrique.
Pour les bailleurs, la montée en puissance d’une industrie congolaise duale, capable de répondre à des besoins civilo-militaires, est perçue comme un indicateur de sérieux. Des discussions exploratoires sont engagées avec la Banque africaine de développement afin de cofinancer une plateforme logistique régionale à Pointe-Noire, orientée vers la réparation navale et le MCO aéronautique.
Une séquence décisive pour la sécurité africaine
À un an de la prise de fonctions du Président Denis Sassou Nguesso à la tête de l’Union africaine, les contours d’un agenda sécuritaire ambitieux se précisent. L’officialisation, par la CEDEAO, de la candidature unique de John Dramani Mahama pour 2027 garantit la prévisibilité nécessaire à la continuité stratégique. Pour le Congo-Brazzaville, l’exercice de la présidence continentale sera l’occasion de démontrer la maturité de ses forces armées, de stimuler son industrie de défense et de s’affirmer comme l’un des architectes de la stabilité régionale.
La coordination déjà engagée avec Accra laisse présager une transition fluide, soutenue par un dialogue étroit entre les deux capitales. En multipliant les concertations techniques et en inscrivant leurs priorités dans une logique de complémentarité, Brazzaville et la CEDEAO disposent d’un levier rare pour renforcer la crédibilité de l’Architecture africaine de paix et de sécurité. À ce titre, la double séquence 2026-2027 pourrait constituer un tournant majeur pour l’affirmation d’une approche africaine unifiée face aux défis sécuritaires contemporains.
