Sassou à Abidjan : relance sécuritaire régionale

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Abidjan, épicentre d’une diplomatie sécuritaire

Huit décembre, plateau du palais présidentiel d’Abidjan : la solennité de la prestation de serment d’Alassane Ouattara se double cette année d’un parfum d’urgence stratégique. En prenant place aux côtés d’une dizaine de chefs d’État, Denis Sassou Nguesso affirme l’intérêt majeur que la République du Congo porte à la stabilité de l’Afrique de l’Ouest, devenue, selon les mots mêmes du président ivoirien, « terrain d’affrontement contre le terrorisme et le cyberterrorisme ». La stature présidentielle congolaise dans l’assemblée traduit une volonté de s’inscrire dans les débats qui façonneront les futurs partenariats sécuritaires du continent. Par ce simple déplacement, Brazzaville confirme qu’elle observe avec attention les dynamiques de sécurité régionales et qu’elle entend y contribuer, en bonne intelligence avec Abidjan, au service d’une architecture africaine de paix renouvelée.

Un geste diplomatique à haute intensité stratégique

En choisissant de répondre à l’invitation ivoirienne, le chef de l’État congolais consolide un dialogue bilatéral déjà réputé solide. La symbolique renforce la crédibilité de Brazzaville dans son rôle attendu de trait d’union entre l’espace CEMAC et l’espace CEDEAO. Au plan militaire, la participation à une investiture n’est pas un acte anodin : c’est l’occasion de concerts bilatéraux discrets entre états-majors, d’échanges de notes sur les menaces transfrontalières et, surtout, de positions communes à élaborer dans les enceintes multilatérales. Les équipes protocolaires rapportent qu’en marge de la cérémonie, plusieurs présidences ont esquissé des convergences de vues sur la protection des corridors énergétiques et logistiques. Sans signature formelle, l’intention est claire : la solidarité face aux déstabilisations jihadistes doit primer, et la voix de Brazzaville y sera entendue.

Convergence ivoirienne-congolaise face au terrorisme et au cyberrisque

Dans son allocution, Alassane Ouattara a rappelé la persistance d’« une vague terroriste qui cherche à s’enraciner du Sahel au littoral » ainsi que la montée du cyberterrorisme. Ces deux axes rejoignent les préoccupations congolaises, Brazzaville ayant placé la cybersécurité et la protection de ses frontières fluviales au cœur de sa dernière revue stratégique. La Côte d’Ivoire, confrontée à des incursions jihadistes au nord, mise sur le renforcement de ses capacités de renseignement et l’interopérabilité de ses forces. Le Congo, riche de son expérience de stabilité intérieure, peut offrir l’exemple d’un cadre légal robuste et d’une doctrine intégrée sécurité-développement. Le partage d’expérience entre les deux capitales apparaît comme la réponse la plus immédiate aux menaces évoquées, renforçant du même coup la cohérence africaine voulue par l’Union africaine et soutenue par l’ensemble des délégations présentes.

Sécurité alimentaire, transition énergétique : des défis à double lecture défense

La déclaration ivoirienne faisant de la sécurité alimentaire et de la transition énergétique des priorités gouvernementales résonne avec les dilemmes africains de résilience nationale. Pour les planificateurs militaires, l’insécurité alimentaire est un multiplicateur de risques, capable de nourrir la contestation sociale et l’endoctrinement armé. De même, la transition énergétique nécessite la sécurisation d’infrastructures critiques, du puits pétrolier au parc solaire. Brazzaville et Abidjan partagent la conscience que la protection de ces actifs suppose des forces prêtes, mobiles et technologiques. Ici encore, la présence du président congolais suggère l’ouverture d’un dialogue portant sur la défense des installations stratégiques – un domaine où la Côte d’Ivoire investit, tandis que le Congo cherche à diversifier ses partenariats industriels pour moderniser la surveillance de ses plateformes énergétiques.

Implications pour l’industrie de défense et les achats publics

Au-delà de la dialectique géopolitique, la cérémonie d’Abidjan offre une vitrine pour les industriels africains de la sécurité. Les délégations, essentiellement politiques, accueillaient dans leur suite plusieurs représentants d’entreprises publiques et parapubliques désireux de positionner leur savoir-faire dans la maintenance, le soutien logistique et la transformation numérique des armées. Le Congo, engagé dans un effort de maintien en condition opérationnelle de ses équipements terrestres et fluviaux, pourrait trouver dans l’écosystème ivoirien des pistes de codéveloppement, notamment en matière de centres de données sécurisés et d’outils de lutte anti-drones. Les besoins exprimés par Abidjan en faveur d’une économie numérique protectrice de la productivité agricole rapprochent encore les intérêts : la sécurisation des chaînes de valeur agricoles appelle en effet des solutions de traçabilité et de protection cyber qu’Abidjan et Brazzaville pourraient développer en synergie.

Vers une densification des échanges sécuritaires

La forte représentation des dirigeants africains à Abidjan a mis en évidence la volonté collective de refonder la coopération continentale. Dans cet esprit, la relation Congo–Côte d’Ivoire pourrait évoluer vers des programmes conjoints de formation d’officiers, d’échanges entre services de renseignement et de coordination en matière de diplomatie de crise. L’absence de communiqué officiel ne doit pas tromper : la diplomatie militaire s’appuie souvent sur des contacts informels noués en marge des grands rendez-vous protocollaires. Le geste d’amitié formulé par Denis Sassou Nguesso scelle une disponibilité qui sera exploitée dans les mois à venir, au rythme des conférences de planification régionales et des rencontres d’état-major.

Le signal d’Abidjan, une promesse de stabilité

En clôture de la cérémonie, le président ivoirien s’est dit « confiant et optimiste » quant à l’avenir de son pays. Le chef de l’État congolais a, de son côté, salué le « caractère rassembleur » de l’événement, notant qu’il marque « un élan continental vers plus de sécurité et de progrès partagé ». La présence de Brazzaville à Abidjan apparaît ainsi comme une pièce d’un puzzle plus vaste dans lequel chaque État, au-delà de ses frontières, s’emploie à consolider la paix par la coopération. L’écho donné à la lutte contre le terrorisme et au développement du numérique confère au déplacement présidentiel une portée qui dépasse la stricte courtoisie diplomatique : il s’agit d’un acte de foi dans la capacité africaine à se défendre et à innover, un message auquel la communauté stratégique congolaise ne pourra rester indifférente.

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