Un diagnostic attendu par les acteurs sécuritaires
Publié le 9 décembre à Brazzaville, le rapport annuel 2025 du Centre d’action pour le Développement (CAD) dépasse le seul registre de la sensibilisation aux droits fondamentaux. Pour les responsables du ministère de l’Intérieur et les chefs de corps, le document de plus de cent pages constitue en effet une base de données inédite sur les points de friction entre population et forces de sécurité dans sept des quinze départements. En s’appuyant sur des enquêtes de terrain concomitantes aux standards internationaux, le CAD fournit, selon les termes de Trésor Nzila, « une matière première empirique pour orienter les politiques publiques ».
Les autorités congolaises ont retenu cet angle utilitaire. Dès le lendemain de la publication, une cellule d’analyse conjointe police-gendarmerie-justice a été mobilisée pour comparer les statistiques livrées par l’ONG avec les indicateurs internes. « Nous considérons ce rapport comme un audit externe gratuit », confie un officier supérieur de la direction générale de la police. Dans un contexte régional marqué par le risque de contagion des crises frontalières, disposer d’un tableau précis des zones de tension sociales permet de mieux calibrer le déploiement préventif des unités et de conforter la posture de sécurité intérieure voulue par le président Denis Sassou Nguesso.
Comprendre la dynamique des chiffres
Le CAD répertorie 4 182 violations présumées de droits civils et politiques en 2025, soit 131 % de plus qu’en 2024. Ces chiffres interpellent, mais leur lecture stratégique implique de les replacer dans le cadre d’un pays qui a renforcé ses opérations de sécurité maritime, sa lutte contre la criminalité organisée et son contrôle des axes frontaliers. L’intensification des patrouilles et la multiplication des points de contrôle conduisent mécaniquement à une hausse des interactions entre forces et citoyens, interactions dont une partie nourrit ensuite les statistiques d’incidents.
Les experts du Centre d’étude des menaces émergentes de l’université Marien-Ngouabi soulignent d’ailleurs que « l’augmentation documentaire ne signifie pas nécessairement une aggravation de la situation, mais peut traduire un meilleur accès à l’information et une libération de la parole ». Dans la même veine, le ministère de la Défense rappelle que les brigades territoriales de gendarmerie ont récemment adopté un logiciel de traçabilité des interventions, outil qui favorise la remontée de données brutes désormais recensées par les ONG.
Complémentarité entre initiatives gouvernementales et propositions du CAD
Depuis la promulgation de la loi de programmation militaire 2022-2026, le gouvernement a engagé plusieurs chantiers : rénovation des écoles de police, recrutement d’enquêteurs judiciaires spécialisés et lancement d’un module de formation « droit des conflits armés et gestion des foules » à Mbé. Le rapport du CAD offre un contre-champ précieux pour ajuster ces mesures. « Notre objectif est d’ouvrir un dialogue technique avec la société civile afin d’accélérer la montée en compétence des personnels », indique le général-major Lucien Poaty, chef d’état-major de la gendarmerie.
Le registre centralisé des détentions, recommandé par le CAD, rejoint une préconisation déjà actée dans le plan national des droits de l’homme 2023-2027. La Direction générale de la sécurité présidentielle (DGSP), souvent citée dans le document, a pour sa part lancé un audit interne sur la gestion de la preuve et le suivi disciplinaire. Selon son directeur de cabinet, « l’objectif est de faire coïncider la fermeté opérationnelle requise par les menaces asymétriques et l’exigence de conformité juridique ».
La perspective d’une commission mixte : outil de confiance mutuelle
Au cœur du rapport figure l’idée d’une commission d’enquête indépendante regroupant représentants de l’État, familles de victimes et acteurs associatifs. L’expérience d’autres États d’Afrique centrale montre qu’un tel mécanisme, lorsqu’il s’inscrit dans le droit national, peut hisser la qualité du renseignement intérieur : les témoignages recueillis sous garantie de transparence alimentent la cartographie des facteurs de radicalisation et facilitent la médiation dans les quartiers sensibles.
Le ministère en charge des Droits humains a annoncé étudier le format d’une « commission mixte ad hoc » qui pourrait s’appuyer sur l’expertise de la Croix-Rouge congolaise pour la collecte des données et sur l’École nationale d’administration et de magistrature pour le volet méthodologique. L’enveloppe budgétaire, jugée modeste par le CAD, serait compatible avec la réorientation de crédits déjà disponibles dans le programme de modernisation de la justice militaire. Pour les partenaires techniques, tel l’Union africaine, un tel dispositif offrirait également une vitrine de la gouvernance congolais en matière de sécurité humaine, critère de plus en plus scruté dans la coopération capacitaire.
Former la jeunesse et renforcer la résilience nationale
Le rapport insiste sur la « jeunesse durablement exposée au spectacle de la souffrance ». Là encore, les services de sécurité voient une opportunité. La gendarmerie a récemment entamé un cycle de conférences dans les lycées de Pointe-Noire et d’Owando pour sensibiliser aux dangers de la désinformation, aux dérives de la cybercriminalité et aux modes de recrutement de groupes violents. Ces actions s’ajoutent au programme « Service civique volontaire » lancé en 2023, qui mobilise déjà plus de 4 000 jeunes dans des activités de génie civil et de protection civile.
Au Festival Slam pour les droits humains, qui a servi de cadre à la présentation du rapport, de jeunes artistes ont rendu hommage au rôle de l’armée dans la stabilisation du Pool et la sécurisation du corridor logistique Pointe-Noire–Brazzaville. « Créer, c’est résister », a résumé un slameur, tandis que des officiers du commandement de zone saluaient cette convergence entre expression culturelle et esprit de défense.
En filigrane, se dessine ainsi une équation partagée : le respect des droits humains consolide la légitimité des forces, laquelle conditionne l’efficacité opérationnelle face aux menaces transnationales. En prenant acte des données fournies par le CAD, les autorités congolaises semblent déterminées à transformer une critique en catalyseur, afin que la sécurité intérieure, la stabilité politique et la cohésion sociale avancent de concert.
