Un arsenal militaire dans un braquage civil
L’annonce du verdict a fait l’effet d’un signal : l’usage d’une arme de guerre de type PMAK dans un braquage de cinq millions de francs CFA à la Caisse de Recettes Financières de Sibiti ne pouvait qu’appeler une réponse hors-norme. Le prévenu, Alex Ebata Mbossa, surnommé « le Gentil », a été appréhendé puis déféré devant la Cour d’Appel de Dolisie, compétente pour les départements de la Lékoumou et du Niari. En s’emparant d’un fusil d’assaut conçu pour le champ de bataille, l’auteur de l’agression a franchi la frontière qui sépare la délinquance classique de la menace armée contre l’État. Les magistrats ont souligné, dans leurs attendus, que la possession de munitions de guerre plaçait l’affaire sur le terrain de la sûreté nationale, bien au-delà du simple vol qualifié.
Symbole des surplus circulant dans la sous-région, le PMAK est entré dans l’imaginaire collectif comme l’outil privilégié des groupes criminels transfrontaliers. Qu’il se retrouve entre les mains d’un individu isolé rappelle l’extension capillaire des circuits illicites d’armement. À Sibiti, ville carrefour entre le corridor national 1 et les axes forestiers, l’épisode révèle aussi la vulnérabilité potentielle des recettes publiques en numéraire, souvent ciblées pour financer d’autres trafics.
La réponse coordonnée des forces de sécurité
Selon une source proche du groupement de gendarmerie du Niari, l’interpellation d’Alex Ebata Mbossa n’a nécessité que quarante-huit heures. Les unités de recherche, appuyées par les spécialistes du renseignement territorial, ont exploité les témoignages recueillis sur les lieux et confronté les informations aux bases de données balistiques de la Direction générale de la police scientifique. Le suivi des cartes SIM actives dans la zone, autorisé par ordonnance judiciaire, a permis de localiser le suspect à Divenié puis de le coincer à l’entrée sud de Dolisie.
Cette célérité est le résultat d’une collaboration accrue entre la Direction générale de la sécurité intérieure, le parquet et la Section de recherches de la gendarmerie. Mis en place depuis la loi d’orientation et de programmation du secteur de la sécurité intérieure, le protocole « Renard » prévoit l’échange immédiat d’indices matériels, y compris les empreintes balistiques, dans un format interopérable. « C’est l’exemple parfait d’un renseignement policier qui se matérialise en action judiciaire », confie un officier supérieur sous couvert d’anonymat.
Une justice ferme comme dissuasion
Le jugement rendu par la chambre criminelle de la Cour d’Appel s’inscrit dans la stratégie gouvernementale de tolérance zéro envers la circulation illégale des armes de guerre. Vingt ans de travaux forcés, assortis de huit millions de francs CFA d’amende – dont cinq au titre des dommages et intérêts – constituent une peine parmi les plus élevées prévues par le code pénal révisé en 2019. Pour le procureur général, « cette décision protège nos concitoyens et renforce la crédibilité de l’appareil sécuritaire ».
En retenant cumulativement le vol qualifié, la détention illégale d’arme de guerre et la possession de munitions, la cour a voulu envoyer un message clair : l’arsenal pénal congolais est pleinement mobilisé. Les avocats de la défense ont tenté de plaider la précarité sociale, mais le ministère public a souligné que l’arme saisie démontre l’existence d’un réseau logistique. À l’audience, un expert des armées a certifié que le PMAK, chambré en 7,62 × 39 mm, provenait probablement d’un stock ex-yougoslave introduit en Afrique centrale dans les années 1990.
Les leçons sécuritaires pour la Lékoumou et le Niari
Sibiti, chef-lieu de la Lékoumou, est désormais au cœur d’une réflexion sur la sécurisation des infrastructures financières régionales. Les forces de police envisagent de renforcer la présence d’équipes cynophiles et d’équiper les guichets publics de systèmes de vidéosurveillance à enregistrement crypté. Dans le Niari voisin, où la dorsale ferroviaire et routière attire nombre de flux commerciaux, les autorités civiles évoquent la création d’une cellule mixte d’alerte aux braquages, capable de diffuser en temps réel les signalisations grâce au réseau TETRA déjà déployé pour la protection civile.
Au-delà de l’événement, le dossier met en lumière le caractère poreux de la frontière entre criminalité organisée et insécurité locale. Les experts estiment que les armes légères continuent de transiter depuis les théâtres voisins du bassin du Congo. D’où l’importance pour les commandants de zone de maintenir des patrouilles conjointes avec les Forces armées congolaises sur les pistes forestières, en coordination avec la mission de l’Organisation internationale de police criminelle en Afrique centrale.
Traçabilité des armes : prochain défi stratégique
Le gouvernement a déjà inclus, dans la feuille de route 2024-2027, un programme de marquage laser de tout armement détenu par les forces publiques. Reste la question cruciale de la traçabilité des armes circulant hors des registres officiels. La Direction des armes et munitions projette la mise en place d’un guichet unique où seront centralisées les expertise balistiques et les données de récupération sur le terrain.
À Brazzaville, un spécialiste du Centre national de contrôle des armes légères rappelle que chaque saisie constitue une opportunité de remonter la filière. « Il faut articuler l’enquête intérieure avec la coopération sous-régionale, car aucune frontière n’arrête un chargeur de 30 cartouches », insiste-t-il. L’affaire du PMAK de Sibiti aura donc valeur de cas d’école : démonstration d’une chaîne sécuritaire réactive, d’une justice dissuasive et d’un État déterminé à couper les racines de la violence armée.
